Zegoua : Où les importateurs de denrées y laissent leur peau

En bonne place sur la cartographie des corridors reconnus par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), l’axe routier Bamako-Bougouni-Sikasso-Zegoua-Bouake-(Côte d’Ivoire) est de ceux qui attisent le plus la convoitise des forces de contrôle transfrontalier. Alors même qu’il existe un cadre réglementaire étoffé, les importateurs subissent les assauts sans vergogne d’agents véreux et impénitents au service exclusif de l’argent. 

Dimanche 8 juillet 2018, il est 7 h, sur le seul corridor qui relie directement le Mali à la Côte d’Ivoire. Nous sommes au poste frontalier de Zegoua. Une vingtaine de camions chargés de riz et de sucres, alignés en file indienne en provenance d’Abidjan, sur cet axe qui tourne 24h/24 sans interruption.

Cette petite bourgade située à 06h31 mn de Bamako via Sikasso et 10h5mn de route d’Abidjan est le symbole vivant d’une frontière à forte densité humaine, des barricades géants et une dizaine de bâtiments alignés abritant des services administratifs et de contrôle maliens.

A quelque 300 mètres de là, derrière le bureau secondaire des douanes de Zegoua, une forêt de gros porteurs stationnés dans un parking qui s’étend à perte de vue. Ici poirotent apprentis et chauffeurs dans l’attente de documents douaniers leur autorisant à poursuivre la route à destination des villes de l’intérieur du Mali.

Assis à même le sol au milieu de ses camarades discutant au tour d’un thé, Dialor Mboup se présente comme un apprenti chauffeur chez Grand distributeur de produits céréaliers du Mali (GDCM). Le natif de Ségou situe le décor triste d’un horizon qui s’assombrit pour les chauffeurs. Un métier qu’il hérite de son père acteur d’une génération qui a subit bien des rudes épreuves de la route. « Au vue de tout ce que nous subissons comme abus, je commence à m’en convaincre que notre métier n’a pas de perspectives ».

A 150 mètres d’eux, en allant vers l’est, à l’ombre de deux camions remorques, des chauffeurs crient leur malaise, vouant aux gémonies les leurs, les transporteurs, qui fumeraient dans la même pipe que les autorités en charge des contrôles sur le corridor. « Nos difficultés viennent d’abord de nos employeurs. Ils savent nos difficultés. Nous n’avons aucun budget pour faire face aux tracasseries le long de ce corridor. C’est de l’injustice à ciel ouvert. Ils nous condamnent à verser des sommes indues pour se faire la poche ».

Au nombre de la centaine de camions qui franchit quotidiennement cette barrière, ceux de GDCM qui y passent avec les 60% du sucre importé au Mali.

« Nos forces nous font subir l’enfer sur notre territoire entre Zegoua et Senou. Et c’est bien pire que ce que nous connaissons sur le reste du corridor jusqu’à Abidjan », s’indigne Dougoutigui Dembélé, un chauffeur de GDCM.

De nos enquêtes il ressort que sur le territoire ivoirien, les camions maliens payent de l’argent au moins une fois. Et la quittance délivrée après ce payement est reconnue par toutes les forces le long du corridor. Ce qui à coup sûr atténue l’ampleur des tracasseries à ce niveau.

La disparité entre le sol malien et Ivoirien est jugée inacceptable dans un contexte d’harmonisation des textes régissant la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO.

Même en règle, le chauffeur est obligé de verser de l’argent au niveau des postes maliens. « Je voyage jamais sans être en règles vis-à-vis des textes qui régissent le transport. Hélas, ils trouveront toujours une faille quelque part sur le véhicule pour te tordre la main et t’obliger à payer », renchérit Zou Koné, conducteur d’une remorque de transport de mangue.

« Vaut mieux ne pas être en règle »

« Quand bien même je suis en règle, ils en arrivent à inventer une faille ou défaut sur mon pneu, et de me condamner à payer entre 6000 et 10000 F CFA. Aucun reçu ne m’est délivré », témoigne Modibo Koné, chauffeur d’un camion de transport de sucre, tout furieux. Et d’ajouter : « finalement il vaut mieux de ne pas être en règle que de l’être. Car selon qu’il pleuve ou qu’il neige, tu vas payer ».

Modibo Koné n’a pas fini d’égrener le long chapelet des abus et des violations sur les chauffeurs. Dans son règlement intérieur, la société GDCM accorde une place pour 500 kg de marchandise à ses chauffeurs. « Nous avions pris l’habitude d’embarquer des provisions pour nos familles. Hélas, nous en sommes dépossédés de tout par les forces de police, de gendarmerie et de douane en poste. Et…elles nous sortent le prétexte de la surcharge et l’insécurité sur la voie publique. Voyez-vous comme c’est à la fois triste et révoltant ? ».

Et pour les cas de pannes ou des défauts qui se révèlent en cours du voyage, les services de police et gendarmerie maliens sont sans pitié : « Ils nous font payer malgré le fait que nous ne saurions réussir des réparations en pleine brousse » s’indigne notre interlocuteur.

Les mesures sont encore plus radicales quand il s’agit de camions ivoiriens, sénégalais, burkinabés… A l’entrée du Mali via le poste de Zegoua, ceux-ci payent pratiquement 4 fois plus que les 2000 F CFA versés par le camion malien.

 Abus et violations graves

La floraison incontrôlée des postes de contrôle le long du corridor a donné un coup d’accélérateur à la pratique de la corruption et des tracasseries. La décision N°15/2005/CM/UEMOA portant modalités pratiques d’application du Plan régional de contrôle sur les axes routiers inter Etats de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) limite pourtant en son article 3 les points de contrôle au point de départ et le franchissement des frontières entre Etats membres de l’Union.

L’article 4 des Directives N°08/2005/CM/UEMOA relative à la réduction des points de contrôle sur les axes routiers inter Etats de l’UEMOA limite les seules forces de contrôle autorisées à la police, la douane, la gendarmerie et les Eaux et forêts est foulé au pied.

A l’intérieur du poste de Zantiébougou (localité située entre Bougouni et Sikasso), un coffre-fort géant permet aux agents de renflouer leur besace. Il est contrôlé par un gendarme sous le regard vigilant d’un autre. Au soir, nous apprends un travailleur assistant, le récipient est vidé et son contenu réparti comme des tas d’arachides.

Le dernier grand mouvement de grève des transporteurs en décembre 2017 aurait eu de sérieuses répercussions sur les recettes des forces à Zegoua. D’ordinaire, police et gendarmes se partagent un butin colossal qui selon plusieurs acteurs de la lutte contre la corruption et les tracasseries routières est partagé jusqu’au sommet de la hiérarchie politique et sécuritaire.

Le ministre des transports avoue être parfaitement au parfum du calvaire des usagers le long des corridors. En l’absence de toutes actions ou mesures concrètes contre les tracasseries, Zoumana Mory Coulibaly, lance : « j’ai donné des instructions pour soulager des usagers dans les plus brefs délais ».

Mali Justice Project (MJP), crée en 2016 par l’USAID pour endiguer les abus et violations qui entravent la libre circulation des personnes et des biens, travaille d’arrache-pied pour inverser la tendance.

Selon Salihou Guiro, spécialiste en droit de transport, le projet à de nombreux interlocuteurs sur le terrain. Au nombre de ceux-ci, la Plateforme pour la libre circulation des personnes et des biens créée depuis 1996. Le coordinateur de cette entité, Sidiki Traoré, souhaite une synergie et une mutualisation des stratégies pour infléchir la tendance de la corruption et des tracasseries sur le corridor.

MJP a par ailleurs mis en place des Bureaux plaidoyers citoyens (BPC) qui disposent d’un relai à Zegoua. Ces bureaux fournissent une assistance juridique et judiciaire aux plaignants ou victimes de tracasseries.

A la traine des pays de la CEDEAO dans le domaine de la gouvernance en matière de circulation routière, le Mali se doit de changer de fusil d’épaule pour imprimer sa marque.

L’action de MJP et de ses partenaires pourrait-elle conduire au scenario ivoirien qui a consisté à la mise en place d’une brigade spéciale. Cette entité a fait effriter plusieurs postes de contrôles ivoiriens et obligé les forces de l’ordre à travailler dans la légalité consacrée par les textes sous régionaux traitant de la libre circulation des personnes et des biens.

Enquête réalisée par

David DEMBELE

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