Restaurations sur la Voie d’Arles, patrimoine mondial de l’Unesco

En 1998, l’Unesco inscrivait les «Chemins de Saint-Jacques Compostelle en France» sur la liste du patrimoine mondial. Un patrimoine culturel et spirituel devenu ainsi universel. «L’ACIR Compostelle», l’agence chargée de valoriser ces biens, a organisé pour ce 20e anniversaire plus de 300 conférences, expositions, spectacles… Avec elle, nous partons sur la Voie d’Arles, dans le Midi de la France, un des quatre grands chemins empruntés au 12è siècle par les pèlerins qui allaient vénérer les reliques de l’apôtre saint Jacques à l’extrême-Ouest de l’Espagne. Reportage multimédia au Moyen Age.

Sur la Voie d’Arles pour Compostelle, nous ferons halte successivement à Arles puis à Saint-Gilles-du-Gard et à Saint-Guilhem-le-Désert. Guides ou conservateurs, maires ou amis des saints vont nous faire découvrir des édifices majeurs ou des objets précieux récemment restaurés. Des merveilles de l’art roman mais aussi tout un imaginaire lié au pèlerinage. Des histoires de tombeaux, de guérisons miraculeuses, d’enfer et de paradis. Sans oublier la coquille, le gri-gri des pèlerins.

Arles,carrefour entre Rome et Saint-Jacques

Ici, l’air de la garrigue se mêle à l’air du large. Nous sommesà Arles, dans le delta du Rhône, au bord de la Méditerranée. Plus précisément au cimetière des Alyscamps, où se trouvent des tombeaux de pionniers du christianisme. Entre le 3è et le 15è siècle, tous les Arlésiens cherchaient à se faire inhumer dans ces Champs-Elysées ou Cité des morts vertueux. C’est de là aussi que partaient les pèlerins qui s’engageaient sur la Voie d’Arles, « une des quatre grandes voies symboliques françaises en direction des Pyrénées. Le pèlerinage à Santiago était très important au Moyen Age, explique Sébastien Pénari, chargé de mission à l’ACIR Compostelle, et notre conseiller pour cette mission. Les chemins irriguaient toute l’Europe et convergeaient vers l’Espagne où se trouve le sanctuaire de l’apôtre du Christ. »

Les « Chemins de Compostelle en France », quatre fois 800 kilomètres, n’ont bien sûr pas été classés dans leur ensemble par l’Unesco en 1998. « On a sélectionné une collection de 71 monuments et de 7 portions d’un chemin qui racontent le pèlerinage médiéval, précise Sébastien. Des éléments matériels bâtis, des églises, des chapelles, des ponts, d’anciens hôpitaux, des portions de routes. Et un imaginaire immatériel, les dévotions aux saints, les dévotions à l’apôtre Saint Jacques lui-même… »

A l’entrée de la nécropole des Alyscamps, située à l’extérieur des remparts le long de la voie Aurelia, l’ancienne voie romaine, une pancarte indique la distance qui la sépare de Rome (1200 kms) et de Saint-Jacques (1560). « Arles était un grand centre de la chrétienté médiévale, rappelle Sébastien. Au Moyen Age, on est ici au centre du monde connu. Arles est une plateforme, une plaque-tournante, un carrefour entre Rome et Saint-Jacques de Compostelle, entre l’Europe du Nord et la Méditerranée. Depuis l’Antiquité, Arles a été un port, un lieu de trafic commercial et donc forcément d’échanges culturels et d’échanges spirituels. »

De l’Antiquité au MoyenAge

Le long des tombes alignées, Cécile Bénistant, guide-conférencière pour la Ville d’Arles, nous attend sous les cyprès. Dans ce lieu qui inspire le recueillement, des grappes d’étudiants s’exercent au dessin de nu sur les statues de pierre ou à la perspective sur les églises qui foisonnent. Le lieu symbolise à lui seul le passage de l’Antiquité au Moyen Age. « Depuis la découverte des reliques de saint Jacques que l’on date approximativement du 9è siècle, le pèlerinage va très vite se mettre en place, affirme Cécile. Les pèlerins partent d’Arles en direction des reliques de saint Jacques, sans oublier au passage de vénérer les saints qui se trouvent sur le chemin. »

Cécile Bénistant, notre guide, devant les remparts d’Arles.@ Antoinette Delafin/RFI

L’Italie et l’Espagne. Rome et Compostelle. Saint Pierre et saint Jacques sont les deux seuls apôtres dont les tombeaux se trouvent en Occident. Avec nous aussi sur la route, Adeline Rucquoi, spécialiste de l’Espagne du Moyen Age et membre du conseil scientifique des Chemins de Compostelle. Dans le cadre du 20è anniversaire, l’historienne émérite du CNRS participe à un colloque sur « Le Moyen Age des pèlerinages » avec des chercheurs venus d’Espagne, de Pologne, de France, des Etats-Unis ou d’Italie. Une occasion pour elle de nous rappeler qui était saint Jacques ?

« C’est un des douze apôtres. Et un des trois apôtres les plus proches du Christ d’après les Ecritures. Entre autres, il aurait assisté à la transfiguration du Christ sur le mont Tabor ; et il est le seul dont le martyr ait été relaté dans les Actes des apôtres.Mais Saint Jacques, c’est d’abord un témoin et ça c’est très important dans les religions. C’est un témoin de la vie terrestre du fondateur du christianisme c’est-à-dire du Christ. En tant que témoin, il était obligé, c’est dans les Evangiles, d’évangéliser, c’est-à-dire de transmettre son témoignage. Et dans la mesure où on a fait aller saint Jacquesjusqu’au bout de la terre, au Finistère espagnol, il remplit parfaitement son rôle d’évangélisateur jusqu’aux confins de la terre. »

Rendre visite à Trophime

A l’intérieur de la ville fortifiée où flânent des touristes, une messe d’enterrement vient de s’achever dans la cathédrale Saint-Trophime, célèbre pour son portail en triptyque et son clocher roman provençal, un modèle pour toute la région. Au milieu de la nef, Cécile Bénistant veut nous lire un passage du Codex Calixtinus, ce texte du 12è siècle inclus dans « Le Guide du pèlerin » et qui donne les étapes à respecter pour se rendre à Saint-Jacques. Et notamment les noms des saints à visiter à Arles.

« Ceux qui vont à Saint-Jacques de Compostelle par la route de Saint-Gilles doivent d’abord rendre visite à Arles au corps du bienheureux Trophime, confesseur. Il faut visiter aussi le corps du bienheureux Césaire, évêque et martyr. […] Et dans le cimetière de la même ville, on doit chercher les reliques de l’évêque saint Honorat […] car c’est dans la vénérable et magnifique basilique que repose le corps du très saint martyr Genest… »

Genest, jeune citoyen romain, vivait au 3è siècle. Un greffier dont la tâche était d’enregistrer les condamnations à mort des chrétiens. Jusqu’au jour où il a déclaré qu’il était lui-même chrétien… Dès lors, il dut traverser le Rhône à la nage, poursuivi par les troupes romaines… Qui l’ont décapité. « Genest est mort en martyr, c’est-à-dire au nom de la foi religieuse et puis de mort violente, commente Cécile. Et doncson corps va être ramené aux Alyscamps. »

Besace du pèlerin au 12è siècle. Cloître Saint-Trophime.@ Antoinette Delafin/RFI

Courte halte devant la chapelle des reliques : un amoncellement d’ossements, de petits bouts d’étoffes qui auraient appartenu à des saints… Que cherche-t-on ici exactement ? « Ces saints étaient connus pour réaliser des miracles, affirme Cécile. Pour écarter les mauxdans cette société médiévale où les maladies étaient très nombreuses, on vénérait ces saints qu’on appelle thaumaturges…Et plus les saints étaient vénérés, plus on avait de chance d’être pardonné de ses péchés, de voir ses fautes expiées. »

L’enfer ou le paradis?

Après la mort, selon les croyances en vogue au Moyen Age, « soit on avait bien agi pendant toute sa vie et on montait au paradis soit on avait commis des fautes et on descendait dans le monde des enfers qui était absolument cruel, avec des flammes. Le monde des enfers marquait énormément l’esprit des gens, raconte Cécile. On avait peur d’aller en enfer. Surtout, on n’avait pas d’échappatoire. Le monde des vivants ou le monde des morts. Le paradis ou l’enfer. »

Dans la galerie la plus ancienne du cloître, datée du 12è siècle, les statues des grands saints font chavirer les cœurs au vu de tant de vérité et de simplicité dans les regards qui les animent. Jacques le Majeur et Thomas entourant le Christ. Trophime, l’évangélisateur de la Provence qui porte barbe, tout à l’écoute du pèlerin qui doit venir lui confier le motif de son voyage. Et Emmaüs, premier pèlerin du christianisme, qui a coiffé un bonnet orné de la coquille, le symbole du pèlerinage, porte-bonheur et repère sur les Chemins.

Dans la salle des reliques toute proche, une exposition est consacrée aux « Ornements de saint Césaire », un évêque du 6è siècle dont les vêtements liturgiques vénérés depuis le Moyen Age ont été restaurés en 1997. Ils sont montrés au public pour la première fois dans le cadre du 20è anniversaire. Notamment une pièce unique, une ceintureen cuir décrite avec piété par Cécile Bénistant. Elle comporte « un chrisme avec de petites initiales, l’Alpha et l’Oméga, le début et la fin. Mais le plus intéressant, c’est la boucle en ivoire finement décorée, qui représente dans la partie centrale deux soldats armés assoupis près d’un tombeau, très probablement le tombeau du Christ, le Saint-Sépulcre, avec dans l’arrière-plan Jérusalem. C’est une ceinture trop belle pour saint Césaire, évêque d’Arles, qui était à l’origine un moine. » Mais ce présent que lui aurait fait le roi ostrogoth Théodoric, à Ravenne, il n’est pas certain qu’il l’ait porté : « Césaire était humble, pauvre. Il donnait tous ses biens aux clercs. Il ne gardait que très peu de choses. »

Deuxième étape incontournable sur la Voie d’Arles menant à Compostelle, à quelques kilomètres à l’Ouest, la ville de Saint-Gilles du Gard, la belle assoupie. Qui sait que son abbatiale fut un des quatre grands sanctuaires après Jérusalem, Rome et Saint Jacques, et donc le troisième lieu saint en Europe ? Le maire de Saint-Gilles, Eddy Valadier, nous accueille au milieu des pelleteuses pour présenter les travaux de restauration effectués sur ce site abbatial. Une merveille revenue au grand jour.

Eddy Valadier, maire de Saint-Gilles-du-Gard.@ Antoinette Delafin

« Saint-Gilles était au Moyen Age un haut lieu de pèlerinage, dit fièrement l’élu. Depuis deux ans, la ville a engagé un grand projet de restauration de son abbaye : la fameuse « vis de Saint-Gilles » [escalier] dont les travaux se sont achevés il y a quelques mois ; et nous sommes en train de terminer la façade occidentale qui est un joyau de l’art roman provençal et qui est classée au patrimoine mondial de l’Unesco justement au titre des Chemins de Saint-Jacques de Compostelle. »Des travaux « extrêmement lourds, précise-t-il, plus de 2,5 millions d’euros », investis avec le concours de l’Etat, de la communauté d’agglomération de Nîmes Métropole, de la Région Languedoc-Roussillon et du Conseil départemental.

Trois portails unis par le récit

Sur les marches de l’abbatiale à deux étages, Vanessa Eggert, directrice du Patrimoine de la Ville de Saint-Gilles, arbore une mine réjouie. « Une des choses les plus spectaculaires, dit-elle, c’est indéniablement la façade principale. Trois portails entièrement sculptés qui rappellent l’arc de triomphe romain. Ils sont l’œuvre de sculpteurs qui se sont nourris de cette culture antique, des colonnes, des chapiteaux, des arcs. Trois portails unis par le récit que ces sculptures développent ».

Comme à Saint-Trophime, chaque portail est composé de trois registres. « Le plus bas, dépouillé, montre la vie terrestre avec un bestiaire,poursuit la conservatrice. Des lions qui représentent le péché, ont entre leurs griffes des animaux ou des humains… C’est cette image que le péché fait de nous ce qu’il veut. » Symboliquement, la partie centrale abrite des saints, notamment des apôtres, « intercesseurs entre les humains et Dieu ». Et la partie haute appartient au registre céleste. Elle parle de la vie du Christ, omniprésent dans les trois tympans, ainsi que des quatre évangélistes. « Une frise relie le tout, racontant le cycle de la Passion du Christ, ajoute-t-elle. « Des images de pierre pour des gens qui ne savaient pas lire », a-t-on coutume de dire. Mais ces histoires étaient connues de tous et incitaient plutôt les chrétiens à réfléchir au sacrifice de la crucifixion. »

Vanessa se réjouit : « Aujourd’hui, on peut vraiment l’admirer avec un visage complètement nouveau. Depuis le printemps, l’échafaudage a été démonté ce qui a permis de révéler au public la façade restaurée. » Même si un nouvel échafaudage est revenu sur le portail nord, qui représente la nativité et l’entrée du Christ à Jérusalem. « Pendant le chantier de restauration, on a découvert de la polychromie, c’est-à-dire des couleurs peintes sur la sculpture…Tout l’emmarchement devant l’abbatiale a aussi été refait. C’est un vaste chantier qui englobe toute la place, le parvis… »

Dans l’abbatiale conservée dans son état de la fin du 12è siècle, l’ambiance est feutrée. « C’est une église qui a une très grande surface, chuchote la jeune femme. Elle a été conçue pour accueillir un grand nombre de personnes ». Un large escalier de pierre cintré mène à la crypte, l’église basse, consacrée à Saint Gilles. « Une crypte, c’est un lieu où on vénère des reliques », précise-elle. Dans la pénombre, on distingue un panneau qui valide l’authenticité du tombeau du saint qui est d’une sobriété impressionnante. Des ex-voto gisent pêle-mêle sur la pierre, marqueurs de la piété contemporaine. Les pèlerins ont coutume ici de verser des oboles, éternelle source de richesse pour l’abbaye au Moyen Age.

Abbatiale de Saint-Gilles du Gard. Sculpture du portail.@ Antoinette Delafin/RFI

« Saint Gilles Aegidius était d’origine athénienne. Il a trouvé sa vocation très jeune dans une quête de solitude, raconte Vanessa. Après sa mort, beaucoup de fidèles sont venus se recueillir sur son tombeau. C’était un saint extrêmement populaire, connu pour protéger les plus faibles contre la peur, les enfants, les malades…Il y a de nombreuses histoires de guérisons miraculeuses, de gens qui ont reçu un pardon. On va dire que la chose qui posait problème dans leur vie a pu être réparée grâce à l’intercession de saint Gilles.Il avait un spectre de compétences assez large et pouvait être invoqué dans de nombreuses circonstances. »

Des pèlerins venant de toute l’Europe

Le culte de saint Gilles était très largement répandu. Vanessa nous invite à lire Le Livre des miracles de saint Gilles, « un ensemble de récits passionnants ». Des histoires de pèlerins venus des quatre coins de la France, d’Allemagne, du Danemark. Par exemple, la cathédrale d’Edinbourg est dédiée à saint Gilles, l’autel majeur de la cathédrale de Spire également, une commune de Bruxelles… « Un peu partout, il y a des mentions qui remontent au Moyen Age de lieux dédiés à saint Gilles. Ce n’est pas anodin », dit la conservatrice qui profile le contexte.

L’abbaye Saint-Gilles était très puissante et renommée dans toute l’Europe. Saint-Gilles était un port important le long du petit Rhône qui donnait accès à la mer. Une cité florissante où se croisaient des marins venus de toute la Méditerranée, notamment italiens, et un temps des Croisés. « C’est d’ailleurs là que s’était implantée la première fondation en Occident des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, au pied de l’Abbaye, non loin du port, rappelle au passage Vanessa Eggert. Cela permettait d’accueillir les pèlerins qui partaient vers la Terre sainte avec une motivation de pèlerinage ou de croisade et de les prendre en charge. Et s’ils se sont implantés à Saint-Gilles, c’est parce que c’était une ville de pèlerinage. En quelque sorte, les flux étaient présents et ils profitaient de ces flux pour encourager les gens à partir. »

Saint-Guilhem: un guerrier devenu saint

Les paysages défilent sur l’autoroute face au soleil couchant. Puis la départementale file vers le Nord à la nuit tombante. SaintGuilhem-le-Désert, village perché sur les flancs arides du Massif central, vit au rythme et selon les variations du tintement des cloches de l’abbaye de Gellone. Le pèlerin doit y passer pour voir les restes du grand Guillain, Comte de Toulouse et duc d’Aquitaine devenu Saint-Guilhem. Philippe Machetel, maire de la cité paisible, explique souriant : « C’était un grand guerrier franc, cousin de Charlemagne. Il est venu se retirer ici après toute une vie de conquêtes, de batailles, de grandes et de petites victoires. Guillain a fondé cette abbaye sur ses deniers propres, avec l’autorisation bien sûr de Charlemagne. La fondation des abbayes permettait au fond de structurer administrativement les territoires. »

Philippe Machetel, maire de Saint-Guilhem-le-Désert.@ Antoinette Delafin/RFI

Ce samedi est jour de mariage à SaintGuilhem. La foule se presse sur le parvis tandis que les cloches sonnent à la volée. Le maire a promis de nous montrer ce matin la relique de la « Vraie Croix » que le pèlerin doit surtout honorer. « Selon la légende, explique-t-il, ce morceau de la Croix du Christ aurait été donné par le Patriarche de Jérusalem à Charlemagne,qui lui-même l’aurait donné à Guilhem » à Aix-la-Chapelle, quand il était allé lui demander l’autorisation de fonder l’abbaye. « Cette relique classée aux monuments historiques. C’est un petit morceau de bois. Regardez. A la croix de la croix, tout en haut », dit-il pointant du doigt l’objet minuscule vénéré depuis des siècles. Et d’ajouter que « 40 personnes par jour viennent toujours ici la visiter ».

Mais la pièce que Philippe Machetel veut nous présenter, c’est l’autel roman du Sauveur dit de saint Guilhem. Une merveille en marbre blanc dont la restauration vient de s’achever. Lorsqu’il a fondé l’abbaye, Guilhem a reçu aussi en cadeau un sacramentaire où une mention manuscrite précise que l’abbatiale est dédiée au Sauveur. « Le Sauveur, c’est le Christ, représenté en deux positions sur l’autel, explique le maire admiratif. Le Christ en croix sur la partie droite et le Christ en majesté sur la partie gauche. Cet autel en marbre taillé incrusté de verre coloré est une pièce absolument somptueuse, qui a dû demander des milliers d’heures de travail. L’autel était très malade. Il a passé deux ou trois ans en restauration. Et maintenant, il est réinstallé. »

Jean-Louis Dusfour, recteur de l’Abbatiale de St-Guilhem.@ Antoinette Delafin/RFI

Au fait, un guerrier peut-il devenir un saint ? « C’est une entreprise de longue haleine », admet le maire. A ses côtés, devant l’autel, Jean-Louis Dusfour, Recteur de l’Abbatiale de SaintGuilhem-le-Désert, trouve les mots pour le dire. « Le conte avait sa cour et obtenait tout ce qu’il voulait quand il était dans son palais à Toulouse… Alors, pour le tester,un jour,les moines l’ont envoyé à la mer chercher du poisson pour le couvent… » Il était censé avoir renoncé à la violence et à l’usage des armes mais, en chemin, il a eu à se défendre contre des brigands qui s’en prenaient à son poisson. Sans problème, dit la légende, il aurait arraché la cuisse de sa mule et s’en serait servi pour les neutraliser. « C’est la Chanson de Geste qui le raconte », reprend l’abbé amusé. Guilhem aurait ensuite assuré aux moines qu’il avait remis la cuisse en place. Puis, il aurait dit comme à son habitude : « Asseyons-nous et faisons ripaille. »

Décidément très humain, Guilhem était du même coup un saint très prisé par les gens. Au point qu’après sa mort, les clercs ont fait appel à son fantôme pour la construction du pont qui devait relier Saint-Guilhem à la puissante abbaye d’Aniane, dans la vallée. Un pont enjambant les gorges de l’Hérault dont les crues terribles s’engouffrent encore aujourd’hui dans l’arche centrale et les deux latérales. Robert Latreille, président de l’association des Amis de Saint-Guilhem, raconte in situ, sur fond de chants des grillons, la légende du pont du Diable.

Robert Latreille, président des Amis de Saint-Guilhem.@ Antoinette Delafin/RFI

« En 1128, les moines de l’abbaye qui surveillent les travaux constatent que chaque soir, quelqu’un vient détruire le travail de la journée. Ils appellent saint Guillain, leur patron, qui a été canonisé en 1066, mais qui redescend sur terre… Une nuit, il voit le diable arriver sur le pont et l’interpelle : « Satan, qu’est-ce que tu fais ? » Le diable dit « Mais bien sûr, je ne veux pas du tout voir tes chiens d’amis construire ce pont. » Guillain propose un compromis : « Si tu es d’accord, et le diable a été d’accord, ce qui est extraordinaire, tu nous laisses terminer et je te livrerai la première âme qui passera sur le pont après sa construction. » Le diable, et c’est l’autre partie de l’accord, s’engage de son côté à faire en sorte que rien ne puisse plus détruire ce pont. Le pont est donc construit et ils se retrouvent. Arrive alors un chien. Et Guillain a dit au diable : « Voilà le meilleur chien de mes amis comme je te l’ai promis ». Et le diable comprend qu’il a été joué. Il entre dans une colère terrible et, au milieu du pont, il se jette par-dessus le parapet, et dans la rivière, se creuse un siphon de 80 mètres de profondeur… »

Evidemment, ce sont des humains qui ont bâti ce pont. Un défi pour les ouvriers et les compagnons. Les Chemins de Compostelle ont largement correspondu à une période d’essor des bâtisseurs. « C’était intéressant parce que les pèlerins passaient d’une abbaye à une autre… D’ailleurs, les Chemins de Saint-Jacques, que ce soit la Voie d’Arles ou les autres voies, sont tous ponctués par des monuments historiques classés au patrimoine mondial de l’humanité. »

Saint-Jacques guérit les âmes

Béziers, Carcassonne, Toulouse, Roncevaux… La route est encore longue pour les marcheurs qui vont à Compostelle par la Voie d’Arles. Adeline Rucquoi donne une ultime conférence à l’abbaye de Fontcaude, près de Béziers, où les laïcs qui l’animent lui font la surprise d’entonner pour elle des chants sacrés. Alleluia ! L’historienne conclut : « Saint-Jacques, on n’y va pas pour être guéri. Saint-Jacques, il guérit les âmes. » Question de démarche semble-t-il.Adeline ajoute : « Le Codex Calixtinus fait une comparaison : Saint-Jacques était pêcheur sur le Lac de Tibériade. Et il est devenu pêcheur d’âmes. Mais simplement, le fait de marcher sur le chemin, jour après jour, de s’éloigner petit à petit de la vie quotidienne, vous guérissent l’âme. »
Source : RFI

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