INTERVIEW DE MOSSA AG ATTAHER, VICE- PRESIDENT DE LA DELEGATION DE LA COORDINATION DES MOUVEMENTS DE L’AZAWAD (CMA) AU COMITE DE SUIVI DE L’ACCORD POUR LA PAIX ET LA RECONCILIATION ISSU DU PROCESSUS D’ALGER : « Mon arrivée au niveau du CSA, n’est pas un retour car je suis présent depuis l’apposition de la signature par la CMA du document pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 15 mai 2015 et parachevé le 20 juin de la même année » dixit le Doctorant en Science- Po.

Mossa ag Attaher est un l’un des rares leaders doctorant de l’Ex Mouvement   National de Libération de l’Azawad MNLA, certainement le plus Sonrhaïï des Touaregs, né à Bourem dans le cercle de GAO où il a effectué ses études primaires avant de rejoindre la ville de GAO pour poursuivre ses études secondaires. Touareg de la communauté Idnane qu’on trouve entre les régions de Gao , Taoudeni Tombouctou,Kidal et Menaka, son cursus scolaire et académique reste riche et varié pour avoir vécu travers le Mali durant sa jeune carrière.

Ce sera dans la cité du Kenedougou à  Sikasso qu’il décrochera son baccalauréat (LL) Langues et littérature. Nous sommes en 1998, Mossa Ag Attaher comme beaucoup d’étudiants nordistes dépose ses valises au quartier Darsalam en Commune III du district de Bamako afin d’intégrer l’Université de Bamako où il empoche trois ans après une Licence en Socio-anthropologie. A la fin de  ses études universitaires à Bamako, il se lance dans l’humanitaire et crée une association avec ses cousins pour la scolarisation des enfants en milieu nomade dans la commune de Taboye (cercle de Bourem) dont il était le coordinateur.  Assoiffé de connaissances, il postule et obtient une bourse lancée par la coopération technique, dont nous saluons au passage son engagement sans faille pour le retour de
la paix et la stabilité au Mali. Il s’envolera pour l’Université Libre de Bruxelles (ULB) pour un Master en Santé publique. Il s’inscrit en Sciences Po de Rabat et décroche en Juillet 2108 un Master2 en G2I « Gouvernance et Intelligence Internationales ». La même année Mossa Ag Attaher s’inscrit en thèse
doctorale toujours en Science Po sur « les conflits politico-armés au Nord du Mali de 1963 à 2012 » Dans un entretien à bâton rompu, le doctorant en Science Po sur les questions sécuritaires au Sahel et l’analyse des insurrections armées dans le Nord du Mali de1963 à 2012 nous parle du rôle de la délégation de la CMA au CSA, en passant par sa nomination au poste de vice-président en remplacement de Feu Mahamadou Djeri Maiga décédé en Octobre dernier à Bamako. Aussi, son séjour en Europe, aux USA, En Afrique du Nord et de l’Ouest, Asie et dans les pays du Golf, l’Accord pour la paix et la réconciliation, sans passer sous silence le traitement disproportionné réservé aux anciens FAMAs issues de l’Etat-major de la CMA qui sont de retour dans les rangs, mais aussi la mauvaise lecture que certains ont de la révision constitutionnelle en cours pourtant pendante depuis 1992. Lisez plutôt !

J R : Parlez-nous de votre retour au Mali et de votre nomination au sein de du CSA  M.A : Je ne suis pas de retour comme certaines personnes l’entendent, Je ne débarque pas non plus en terrain inconnu car je suis acteur de ce processus depuis 2011.

J’ai participé aussi bien à la rédaction de la plateforme des revendications du MNLA en prélude à l’accord de Ouagadougou qu’à celle de la CMA pour l’amorce des négociations à Alger. Je suis arrivé au CSA à la demande du président de la CMA, lequel a souhaité depuis bien avant la mise en place du CSA, un bureau permanent de la CMA à Bamako pour coordonner toutes les actions qui sont d’ordre à engager la CMA conformément à ses engagements avec l’Etat du Mali, la communauté internationale et à sa lutte politique. J’ai même séjourné à deux reprises à Bamako, sur invitation du président de la CMA d’alors en 2O16 et 2017 pour une prise de contacts dans ce sens avec les autorités en charge du dossier notamment le ministre de la réconciliation, celui de la défense, de la sécurité, les membres du CSA, mais également avec le Président de la république Ibrahim Boubacar Keita. J’inscris à ce titre ma participation au CSA, dans le cadre global de la volonté de la CMA de renforcer sa délégation au sein des instances dans le processus général et plus précisément au niveau du CSA. J’ai effectivement un moment pris une pause pour parfaire mon parcours universitaire car j’avais dans mon agenda une forte envie de mettre mes expériences à la disposition de mon pays, toute chose qui m’a incité à renforcer mon cursus universitaire.
J R : Quel sentiment vous anime, après cette longue absence sur la scène socio-politique
du Mali ?

M.A : Un sentiment de responsabilité, d’envie de participer à l’œuvre commune pour la paix et
d’un devoir permanent d’engagement !
Reconnaissance envers notre Seigneur Allah et du prophète Mohamed (PSL) sous la bénédiction
de nos défunts parents devant lesquels, je m’incline devant la mémoire, et la mémoire de toutes les victimes de la crise. Je suis plus ou moins animé de satisfaction de retrouvailles, quand on regagne la famille, les amis, les camarades de lutte et de promotion, ensuite, je suis animé aussi et surtout du souci de concrétiser sur le terrain pratique, toutes les ambitions de lutte politique et de fortes convictions.

Autant j’ai donné le meilleur de moi-même pour porter haut et fort le projet politique du MNLA, autant je compte à présent m’investir avec la même énergie pour capitaliser les acquis de l’accord dans l’intérêt supérieur des populations au nom desquelles nous nous sommes volontairement engagés. Je pense que le moment est venu pour donner à la paix toute ses chances et aux populations le droit de vivre dignement sur leurs terroirs. Cela ne peut se réaliser que par une mise en œuvre efficiente et intégrale de l’accord de paix. Le dernier sentiment reste les attentes vis-à-vis de l’avenir, se mettre ensemble et réussir à implanter le sous-bassement du chantier de l’intérêt général, au détriment des tensions et des divergences qui nous interpellent tous.

J R : En tant qu’acteur au cœur du soulèvement de 2012, Peut-on en savoir plus sur le basculement du MNA (Mouvement National de l’Azawad) au MNLA qui est un mouvement armé ?
M.A : Il faut reconnaître que le MNA, né en Octobre 2010, n’était qu’un mouvement politique et pacifique dont certains membres étaient encore des étudiants, munis d’un récépissé. Ils avaient comme objectif de mener une lutte politique au nom des populations de l’« Azawad » à travers un cadre de concertation chargé d’identifier les différents points de revendications que nous avons voulu mettre en place lors de notre première assemblée à Tombouctou, rencontre qui s’est soldée malheureusement par des arrestations, malgré l’autorisation des autorités régionales dont nous
disposons. C’est suite à ce blocage que nous avons initié une marche pacifique, pour dénoncer le scenario de Tombouctou ici à Bamako qui a été de nouveau réprimée par les forces de l’ordre. Face
à ces difficultés enregistrées et en l’absence d’interlocuteur, certains membres ont opté pour l’exil dans les pays voisins (Mauritanie, Burkina Faso, Niger et l’Algérie) dans l’option de mieux s’organiser, jusqu’en 2012 où l’éclatement de la crise libyenne a occasionné le retour de nos compatriotes qui servaient dans l’administration militaire du pays de KADAFI. Ce qui donnera un coup d’accélérateur aux choses qui se sont très vite propagées sur les régions du Nord, dont nous connaissons tous malheureusement la suite.

J.R : Quelles étaient donc, les raisons de votre séjour en France, pendant que certains de vos camarades étaient sur le terrain et d’autres en exil ?
M.A : Au lendemain de la constitution de l’organe politique du MNLA à Zakak avant le début des
hostilités de 2012, j’ai été désigné responsable de la communication du MNLA à l’étranger. Chacun son domaine de contribution dans les mobilisations sociales ; la mienne c’est la communication et les relations internationales : je coordonnais donc les activités en Europe, les pays du Golf et aux USA chaque fois que c’était nécessaire, j’avoue que tout cela, m’a permis de capitaliser une certaine expérience en matière de communication et des relations internationales et la géopolitique.

J.R : Quelle lecture faites-vous de la situation, depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger ?
M.A : L’accord de paix a connu énormément de retard dans sa mise œuvre qui devrait être
terminée depuis deux ans mais malheureusement quatre ans après sa signature ses points essentiels ne sont pas encore épuisés. La responsabilité de ce retard est partagée et entre temps une dynamique d’accélération de la mise en œuvre de l’accord est à présent enclenchée.Depuis l’avènement des dernières élections présidentielles, suite à la réélection du Président IBK à la tête de la magistrature suprême, le premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga en homme de dialogue affiche une réelle volonté d’aller de l’avant et une grande capacité à trouver des compromis. Ses visites à Kidal et dans les autres régions de l’Azawad ont largement participer à l’instauration d’une certaine confiance qui a cruellement manqué les premières année de la signature de l’accord. Je
constate avec satisfaction des dispositions positives prises par lui pour trouver des consensus allant dans le sens d’accélérer l’Accord. Ce qui permettra de solutionner les points de désaccords qui plombent le système, car autant nous devons user entièrement de notre droit à la critique, autant nous sommes capables de reconnaître aussi sans détour la bonne foi de ceux qui sont dans des dispositions de faire avancer les choses. A ce titre, nous saluons la volonté réaffirmée du gouvernement et des partenaires de la communauté internationale à accélérer l’Accord.
Parmi ces actions concrètes, il y’a l’effectivité du cantonnement via le screening des ex-combattants dans les sites de Gao et Tombouctou et Kidal, le parachèvement des (MOCS) mécanismes opérationnels de coordination, l’appel au retour des anciens FAMAS en vue de leur réintégration et les
dispositions en cours aux fins de finaliser les dispositions pour une armée reconstituée.

Cependant pour ce qui est des anciens FAMAS membres de l’état-major de la CMA, nous avons soumis des propositions concrètes à l’Etat afin que leur retour se fasse dans la prise en compte d’un certain nombre de dispositions préalablement nécessaires, parmi lesquelles figurent en bonne place la question de leurs grades, le règlement des aspects liés à leurs carrières.
Je salue de passage la volonté réaffirmée du gouvernement à créer le cadre de discussion
nécessaire pour la prise en compte de ces dispositions.

J.R : Vous êtes depuis deux mois vice- président de la délégation de la CMA au niveau du CSA. Comment comptez-vous prendre le train du processus de paix et de
réconciliation déjà enclenché ?

M.A : Nous prenons chacun le train en marche un jour quelque part pour la simple raison que
nul n’est indispensable et le monde ne doit jamais s’arrêter. (Rire)
Nous sommes à une période cruciale de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la

réconciliation : c’est l’étape où tous les acteurs toutes tendances confondues doivent donner la priorité à la force de proposition capable de nous permettre d’affronter positivement les échéances du moment. Il y a déjà une forte pression sur toutes les parties (le Gouvernement, les mouvements signataires, la médiation, la Minusma, le CSA) pour qu’au plus tard en milieu d’année 2019, nous ayons mis en œuvre l’essentiel des points prioritaires de l’accord.
C’est pour vous dire que la contribution de la CMA à travers ma modeste participation aux
 cotés de mes camarades de la délégation de la CMA, consistera à être une source de proposition tirée de l’Accord, mais en adéquation bien entendu avec les exigences du moment.

J.R : Il nous est revenu que suite aux visites médicales à l’endroit des éléments de la CMA
au MOC, un grand nombre a été déclaré inapte. Depuis, un climat de méfiance et d’inquiétudes se serait installé chez les éléments concernés. Quelle réponse la CMA,
réserve-t-elle à ce cas ?

MA : Il est clair que comparativement au nombre de 1600 éléments du Moc quand on déclare 400
inaptes au sein de ces effectifs, la question a tout son sens d’être posée. Face aux préoccupations, interrogations, parfois même les colères exprimées par les éléments concernés, nous ne pouvons pas rester indifférents en tant que représentant de la CMA au CSA. Et quand nous avons eu connaissance des résultats médicaux, nous avons immédiatement-après concertations-pris attache non seulement avec le Gouvernement, mais aussi avec les structures chargées de la conduite de ce processus, en
l’occurrence la commission(DDR) et intégration.
Ce qui d’ailleurs, nous a permis de trouver très rapidement un consensus pour l’organisation
d’une contre-expertise médicale transparente dont le déroulement se fera avec la participation
de tous les acteurs concernés.
Je tiens à cet effet à rassurer nos éléments au sein du MOC, que toutes les dispositions seront
prises afin que chacun d’entre eux soit édifié de manière transparente sur les dites visites et cela
dans le stricte respect du secret médical exigé en la matière.

J.R : L’actualité malienne de façon générale est animée par le projet de révision constitutionnelle déclenché par le Chef de l’Etat IBK. Récemment Dr Bocari Treta, le président du parti majoritaire a déclaré je cite ‘’ cette bataille, nous allons la mener et nous la gagnerons’’ fin de citation ! Quelle lecture faites-vous de ce projet ?
M.A : Je tiens à faire une mise au point importante à ce sujet : la révision constitutionnelle bien que nécessaire pour prendre en compte certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, n’est pas que l’exigence des seuls mouvements.

Une administration, ici au Mali ou ailleurs, à un certain moment, a besoin d’audit, de bilan et de
plan pour se conformer aux défis. Dans un passé récent, les autorités de la 3 ème République avec à leur tête le Président Alpha Oumar Konaré avait tenté de réviser la constitution- quelques années plus tard, le nouveau locataire de Koulouba notamment ATT avait essayé le même exercice. Après ce fut le Président IBK lors de son 1 er mandat qui avait emboité le pas sans succès et aujourd’hui, le
même projet revient sur la table.

A ma connaissance, sous le mandat d’AOK, comme sous celui de ATT, il n’y avait ni CMA, ni
CSA, ni Accord pour la paix : je souligne que je fais ce rappel à l’intention de ceux qui par
mauvaise foi, essayent de faire passer cette nécessité de révision constitutionnelle, comme
étant une revendication des seuls mouvements signataires de l’Accord. Je crois donc que, autant
cette révision est nécessaire pour mettre en conformité les engagements du gouvernement
du Mali avec l’accord, autant elle est nécessaire pour répondre à la demande sociale des
  populations maliennes en général, clairement exprimées à travers les différentes tentatives de
révision de la constitution de 1992 à nos jours.

Je profite de l’occasion, et à travers ce rappel, pour inviter tous les acteurs politiques du Nord
comme du Sud, les leaders de la société civile et ceux des confessions religieuses à dépassionner
le débat, afin de parvenir à l’essentiel. Toujours, est-il que la future constitution n’aura majoritairement l’adhésion de la population que quand elle aura pris en compte dans sa nouvelle formule les réalités du pays dans sa diversité et l’impérieuse nécessité de représentativité de l’ensemble de la population dans les institutions de l’Etat.

J’ajoute par ailleurs que la finalisation de la nouvelle réorganisation territoriale à travers
le découpage administratif doit également contribuer de manière significative à permettre aux populations l’autogestion de leur terroir, c’est pourquoi nous invitons le gouvernement à mettre
en œuvre les recommandations formulées, suite aux consultations régionales organisées à cet
effet.

J.R : Pas plus tard que la semaine dernière, des nouvelles mesures ont été prises par le
comité directeur de la CMA, entre autres l’interdiction de la vente de l’alcool, un permis de séjour pour les étrangers et l’instauration des cadis (juge religieux en Islam), Pouvez-vous nous donner plus de détails ?

M.A : La décision prise par la CMA pour mettre en place des mesures sécuritaires et règlementaires dans la ville de Kidal a provoqué effectivement des interrogations.
Vous savez, Kidal dans le sillage d’une récente mais forte exploitation artisanale d’or a connu une arrivée massive de populations. Subsaharienne étrangères (soudanais, tchadiens, nigérians et autres) qui souvent s’opposent et s’affrontent avec des armes de guerre à cause des intérêts liés à l’orpaillage !
La population a exprimé ses vives inquiétudes face cette insécurité et c’est dans ce sens qu’on a parlé d’un mécanisme de veille sur ces questions. Quant aux questions de cadis et d’alcool je pense sincèrement que les commentateurs y sont allés à cœur joie et chacun a enfoncé le clou là ou ça lui paraissait pouvoir faire plus mal !
Nous avons pris acte des interprétations et des lectures diverses et variées suscitées par cette décision et avons fait un communiqué qui ne laisse plus aucune place aux interprétations
négatives de cette décision.

Retenez dans ce communiqué que la CMA ne cherche aucunement à se substituer aux
représentants de l’Etat à Kidal et demeure dans un esprit de dialogue et de concertation avec eux pour toutes ces questions en attendant le redéploiement de l’état dans le format prévu par l’accord de paix qu’elle appelle de tous ses vœux.

J.R : votre dernier mot M le vice-président Face aux échéances déterminantes qui nous
attendent et qui sont cruciales pour l’avenir  commun, capitalisons nos énergies et nos forces en les mettant au service de la paix et de la réconciliation dans le respect de notre diversité plurielles, tout le reste est une perte de temps. C’est à ce prix que nous donnerons le visage de l’espoir et du vivre ensemble à nos populations.

Source : Radar

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