Il appartiendra à l’histoire, aux constitutionnalistes de juger du bien-fondé de la révision de la loi fondamentale du pays: avancée démocratique ou régression consacrant un glissement vers un pouvoir personnel présidentiel avec des prérogatives exorbitantes ?
Ainsi donc la révision de la Loi fondamentale, la constitution du 25 février 1992 afin de l’adapter à l’accord pour la paix et la réconciliation issu du Processus d’Alger, prévue dans son article 3 est désormais actée: « Les institutions de l’État malien prendront les dispositions requises pour l’adoption des mesures réglementaires, législatives, voire constitutionnelles nécessaires à la mise en oeuvre des dispositions du présent accord en consultation étroite avec les parties et avec le soutien du comité de suivi prévu par le présent accord ».
L’architecture pour ce chamboulement institutionnel avait déjà été mise en branle avec la création du comité d’experts pour la cause par décret N° 2016-0225/PM-RM du 20 avril 2016 et l’histoire retiendra pour la première fois depuis l’indépendance de la République du Mali que la constitution aura été détricotée, pas pour un véritable toilettage, mais pour les exigences, caprices et surenchères d’une minorité, des mouvements armés, parce qu’ils ont pris les armes contre la République, et la tentation était grande pour l’exécutif de procéder à un tripatouillage afin d’accorder des pouvoirs exorbitants au président de la République notamment en ce qui concerne la désignation d’un tiers des membres du Sénat, institution budgétivore qui viendra s’ajouter à d’autres de la République au moment où, même les démocraties occidentales cherchent à réduire les dépenses publiques en diminuant le nombre des parlementaires, les cumuls de mandats, certains avantages des élus de la République; une disposition qui consacre une violation flagrante de la séparation des pouvoirs avec la voie ouverte pour l’exécutif de contrôler une partie du pouvoir parlementaire…
Que dit l’article 118 de la constitution de la République du Mali ?
“L’initiative de la révision de la constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés. Le projet ou la proposition de révision doit être votée par l’Assemblée nationale à la majorité des 2/3 de ses membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire”.
Les pères qui ont été à l’initiative de la loi fondamentale du 25 février 1992 ont sans doute voulu être avant-gardistes en mettant des garde-fous, un verrou pour la révision de la constitution; deux problèmes existent et qui rendent cette révision impossible à moins de violer l’État de droit :
-Kidal, partie intégrante de la République du Mali est toujours sous occupation par les mouvements de bandits armés de la CMA. Alors la ficelle est grosse : On va bientôt expliquer au peuple souverain que l’administration a été déployée à Kidal et que de ce fait, l’État y est présent et qu’il n’y a plus d’atteinte à l’intégrité territoriale, cet obstacle sera franchi. Le vote du projet de révision de la constitution par la majorité des 2/3 des députés est acquis d’avance car le parti présidentiel, le RPM et ses alliés détiennent la majorité absolue à l’Assemblée nationale, c’est fait !
-Restera alors le dernier obstacle avant le démembrement prévu de l’État par cette révision imposée par l’application de l’accord de paix issu du Processus d’Alger: le RÉFÉRENDUM, véritable exercice de démocratie directe où le peuple souverain du Mali sera appelé à se prononcer en dernier lieu pour valider ou refuser cette révision constitutionnelle.
La vigilance s’impose ! Car la tentation est grande dans cet exercice
périlleux, de détourner le projet qui sera soumis au peuple sous la
forme d’un PLÉBISCITE pour le pouvoir.
Quelle est l’opportunité d’une réforme constitutionnelle à un moment où
les défis à relever sont énormes, où le pays vit encore dans la crise,
exacerbée dans son aspect sécuritaire, où les forces armées et de
sécurité subissent des attaques quasi quotidiennes, avec de lourdes
pertes dans leur rang, où l’État n’exerce pas la souveraineté pleine et
entière sur l’intégralité de son territoire malgré la signature de
l’accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus
d’Alger entre le gouvernement de la République et les différents groupes
armés, et qui a du mal à être appliqué ?
Kidal est occupé par des mouvements de bandits armés et échappe au contrôle du pouvoir central; l’État n’est plus présent sur une bonne partie du Centre du pays…
Quels résultats espérer de l’organisation d’un référendum dans ces conditions ?
C H Sylla