Soupçonnés par les pays voisins de s’adonner à un double jeu, plusieurs membres appartenant aux groupes rebelles touaregs ont suspendu l’application de l’accord de paix d’Alger signé en 2015.
La situation s’envenime dans le nord du Mali où les braises encore chaudes qui couvent depuis l’accord de paix d’Alger de 2015 avec les groupes rebelles touaregs menacent à nouveau de s’enflammer. Le 17 septembre dernier, le Comité de suivi de cet accord (CSA) avait annoncé que, pour la première fois, la réunion mensuelle entre les ex-belligérants devait se tenir à Kidal, la « capitale » du nord du pays, fief de la rébellion touareg. La présence du ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum, qui préside le CSA, et de son homologue malien Tiébilé Dramé était prévue autour de la table. Mais la veille, coup de théâtre : les autorités disent niet. Elles annulent la rencontre à Kidal. Ce sera en fin de compte à Bamako. Raison d’État ! Refus du côté du CMA, la Coordination des mouvements de l’Azawad, qui exige de rencontrer le gouvernement malien dans un pays neutre, en Algérie ou dans un autre pays qui ne soit pas membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao.
Mahamadou Issoufou tape du poing sur la table
Pour que leur message soit pris au sérieux, les responsables touaregs quittent la ville. À moins que ce ne soit aussi par prudence. Car c’est justement du côté du nouveau président de la Cedeao, le président nigérien Mahamadou Issoufou élu en juin par ses pairs, que la charge est la plus forte. Le 7 septembre, au cours d’une « visite d’amitié et de travail » à Bamako, il ne mâche pas ses mots au cours d’une conférence de presse avec le président malien Ibrahim Boubacar Keïta. Le chef de l’État nigérien pousse même un coup de gueule, car des dizaines de ses soldats sont morts au cours des incursions des groupes djihadistes qui franchissent les 800 kilomètres de frontière avec le Mali. « Le statut de Kidal est une menace pour la sécurité intérieure du Niger, clame-t-il. Il y a des mouvements signataires des accords de paix d’Alger qui sont de connivence avec les terroristes. Nous ne pouvons plus l’admettre. »
Pour lui, Kidal est un « sanctuaire pour les terroristes ». De quoi troubler le gouvernement malien, qui, du coup, annule la rencontre avec les ex-rebelles. Une accusation injustifiée pour les membres du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). Sous prétexte que Kidal abrite de multiples représentants de la communauté internationale, mais surtout des soldats français du dispositif Barkhane et des militaires de la Minusma, la force des Nations unies, qui savent tout ce qui s’y passe. Côté français, on marche sur des œufs. Barkhane ne veut pas être accusé de mettre en péril le processus de paix. D’autant plus que d’ex-rebelles ont parfois servi de supplétifs pour traquer des terroristes issus de clans en général rivaux, ou sur le coup d’une vendetta.
Regain de tensions
Depuis plusieurs années, le nord du Mali est devenu un Far West ou bandits, trafiquants, terroristes, responsables politiques sont parfois les mêmes, ou sont de connivence à la barbe des forces étrangères. À Tombouctou, le 19 septembre, deux fillettes sont tuées dans un véhicule qui refuse de s’arrêter face à des jeunes de la ville effectuant des patrouilles de sécurisation censées mettre fin aux vols de voitures et aux attaques à main armée. Des maisons, des commerces sont saccagés. Motos et véhicules sont brûlés. Des affrontements intercommunautaires entre les populations sédentaires et les « peaux claires », comme elles appellent les Touaregs et les Arabes. Ils sont accusés d’être à l’origine du banditisme dans la ville aux 333 saints, qui ne connaît pourtant pas le taux de criminalité, loin de là, qui prévalait jadis à Chicago. En fait, ce sont là aussi, comme dans le centre du pays entre Dogons et Peuls, des attaques qui sont perpétrées sur la base des appartenances ethniques. Des combats attisés par les groupes terroristes qui nouent, grâce aux antagonismes et aux liens familiaux entre clans, des alliances avec des Touaregs, maîtres du désert jusqu’en Algérie. Du coup, dans les centres urbains, ils ne sont pas toujours les bienvenus. À Tombouctou, la coordination des mouvements de l’Azawad accuse l’armée malienne d’avoir tué les fillettes en tirant sur le véhicule et demande à la Minusma de protéger les populations, sous-entendu les Touaregs.
À Kidal, ce scénario est difficilement possible. Les mouvements touaregs, toujours armés depuis qu’ils ont signé l’accord de paix il y a quatre ans, tiennent de facto la ville. Même si une poignée de fonctionnaires occupent des postes techniques, ils ne font rien sans l’aval des responsables touaregs. La vente et la consommation d’alcool sont désormais interdites et les étrangers doivent avoir un tuteur et posséder un titre de séjour délivré par le CMA. Idem pour les mariages, qui ne doivent plus être célébrés la nuit, comme les manifestations culturelles. À cette dissolution de l’autorité administrative aujourd’hui totalement absente s’ajoute la concurrence entre les mouvements touaregs, qui complique le processus de paix, quasiment au point mort dans cet imbroglio.
Guerre interne
En juillet dernier, des manifestants du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ont pris d’assaut le gouvernorat de Kidal qui abrite des membres de leurs rivaux du HCUA, mettant le feu à tous les drapeaux maliens. Leur action était en réalité dirigée contre le secrétaire général du HCUA, Alghabass Ag Intalla, qui avait invité des députés maliens à une cérémonie de lever des couleurs dans le camp qui abrite les recrues du Mécanisme opérationnel de coopération (MOC), d’ex-rebelles en passe d’être intégrés dans l’armée au cours d’un processus qui traîne depuis trop longtemps. Brûler les drapeaux nationaux a choqué à Bamako. Un signe surtout négatif contre l’accord pour la paix et la réconciliation toujours pas mis en œuvre. Du coup, le Conseil de sécurité de l’ONU a ajouté, début juillet, cinq noms de députés et de personnalités qui retardent ou entravent cette mise en œuvre. L’un d’eux, accusé par l’ONU d’avoir détourné de l’aide humanitaire, est le beau-fils de l’amenokal, le chef traditionnel de Kidal.
Les pays voisins n’en peuvent plus
Depuis, le ton est monté contre le double jeu des responsables de Kidal qui nient les accusations portées contre eux. Les pays voisins, désormais menacés par le terrorisme, brisent le silence. En premier lieu le Niger, avec son président, Mahamadou Issoufou, qui s’appuie sur des renseignements probablement complétés par des écoutes et des drones américains et français. Dans des documents consultés par RFI, des haut responsables du HCUA sont impliqués dans plusieurs attaques perpétrées au Niger. Le chef de la sécurité du gouverneur de Kidal a même été blessé au cours de l’attaque de Midal en 2017. Il a été évacué par ses complices à Tinzawaten, sur la frontière algérienne, où l’armée ferme les yeux. Un autre militaire du HCHUA a participé en mai dernier à l’attaque de Tongo Tongo, où 27 soldats nigériens ont été tués. Les armes prises ont été acheminées par les terroristes dans la vallée d’Inadar et réceptionnées par le chef d’état-major du HCUA. En juillet dernier, d’autres armes récupérées pendant l’attaque d’Inates sont transportées toujours au Mali, près de Menaka. Le frère de l’amenokal de Kidal est mentionné dans ce cas. Apparaît aussi le chef de la coordination des mouvements de l’Azawad, le CMA. Selon les autorités nigériennes, il a participé à une réunion avec des émissaires du chef terroriste qui a fait allégeance à Daech : Abou Walid al-Saharoui. Le but : instaurer la charia à Menaka, combattre les forces progouvernementales et « mener des attaques d’envergures au Niger ». Au moment où la communauté internationale presse Bamako d’accélérer enfin la mise en œuvre du processus de paix, les manœuvres souterraines de ceux qui s’y opposent en sous-main sont dévoilées au grand jour par les révélations du Niger. Au moment où va s’ouvrir du 24 au 30 septembre à New York l’Assemblée générale des Nations unies, où le dossier malien sera regardé à la loupe et où d’autres décisions pourraient être prises.
Source : lepoint.fr