La crise multidimensionnelle que vit le pays est en réalité un défi existentiel qu’il va falloir relever d’urgence. Alors que l’on annonçait un irrémédiable retour à la normale avec l’installation d’autorités politiques légitimes, le constat aujourd’hui est sans appel. Il y a plus que jamais péril en la demeure. D’ailleurs, le Mali a-t-il à un moment, connu une gouvernance normale ? L’histoire du pays depuis plus de deux décennies se résument à une série de rétropédalages au niveau de la gouvernance. Et ce, sans aucune prise de conscience des réels problèmes du pays et des priorités ardentes au niveau institutionnelle.
De plus en plus, le Malien s’interroge sur l’avenir de son pays. Inquiet de la marche aveugle du pays vers, semble-t-il, un précipice, il est aussi révolté contre les dirigeants qui se sont succédé et qui n’ont pas compris que le Mali est tellement différent des autres pays d’Afrique subsaharienne. Il demeure hagard face à cette insouciance de la classe politique occupée à jouer une pièce de théâtre intitulée « Majorité et Opposition » que ni lui, ni ses compatriotes n’en comprennent l’essence. Que faut-il faire pour arrêter cette hémorragie de mal gouvernance, s’écrie-t-il ? Sans cesse, il regarde vers la colline du pouvoir et se demande s’il y a bien un commandant à bord.
Rétropédalage politique
Aux premières heures de l’installation des nouvelles autorités légitimes, l’on voulait rompre avec l’ordre politique ancien et pratiquer la démocratie dans les règles de l’art. L’on avait tordu le cou au concept de démocratie consensuelle si cher au président ATT pour faire place à celle que l’on applique en Occident, avec une Majorité contre une Opposition. C’était, l’on disait à l’époque, pour apporter la contradiction dans le débat politique, et ainsi faire une balance utile avec le pouvoir en place pour mieux éclairer la gouvernance. C’était, malheureusement, sans prendre en compte le contexte malien. Car, dans un pays où l’essentiel peine à exister, à savoir l’intégrité territoriale donc la souveraineté, que va-t-on faire d’une démocratie en bonne et due forme. Et ce, dans un pays où le taux d’alphabétisation est très bas.
Depuis, le langage que parle nos chers politiciens, toutes tendances confondues, n’est autre que du charabia politique aux yeux de la masse populaire. Et tout d’un coup, l’on vient avec un nouveau concept, le dialogue national inclusif, pour amener le consensus (un air de déjà-vu) indispensable afin de faire face aux périls de l’heure. En réalité, c’est par ce dialogue que tout aurait dû commencer. Une chose est sure, le Mali devra murir son propre système politique, plutôt que de faire une pâle copie de ce qui se fait ailleurs.
La sécurité d’aujourd’hui pire que celle d’hier
Tel est le curieux constat dressé à la lumière du bilan macabre de ces derniers temps. Un seul exemple, en la seule année 2018, les conflits locaux ont fait plus de morts que durant la période où la crise battait son plein (entre 2012 et 2014). Que dire alors des soldats maliens qui tombent par dizaines, la dernière en date, celle d’Indélimane a causé plus de 50 morts. Auparavant, il y a eu Boulkeissi et Moundoro, 38 morts. Il y a eu aussi Soumpi dans la région de Tombouctou (14 morts). A chaque fois, ce sont des camps militaires qui sont attaquées avec une facilité déconcertante et aussi troublante. Une série de tueries qui rappellent celle perpétrée dans les dernières heures du mandat du président ATT. La formation militaire, clé de voute de toute bonne armée en plus du renseignement, serait galvaudée. Et dire que les dépenses militaires au Mali ont fait un bond de plus de 152% l’an dernier, et que désormais, 22 % du budget global du pays sont pour l’armée !
Au vu des répercussions très peu visibles sur le théâtre des opérations de telles mesures, il y a lieu de se demander sur la qualité de la formation dispensée au sein de la grande muette et surtout sur l’utilisation faite de toute cette manne financière. Le vieux refrain de l’Occident, à sa tête la France, qui voudrait saboter tout effort de reprise en main, perd du terrain. Désormais, le citoyen veut qu’on lui rende des comptes !
L’Administration a horreur du vide, les bandes armées en raffolent !
Aujourd’hui encore, l’on n’arrive pas à poser le bon diagnostic sur l’état de santé du Mali. Quelles sont les causes réelles de la crise malienne ? Telle est la question que la classe politique devra répondre avant de s’atteler à tout travail. Il est évident que le nord malien a très longtemps été délaissé par l’Administration centrale, pour ne pas dire, méprisé. Et dans ce vide abyssale, quoi de plus normal que la zone soit propice à des trafics de tout genre. Le Mali peine encore à exister sur le nord de son territoire. L’Etat doit, coûte que coûte, occuper ce No Man’s Land au risque de contaminer le reste du pays par l’insécurité. Des prémices de ce scénario catastrophe sont déjà visibles avec un centre en proie à des cycles de violences inter-communautaires et de l’extrémisme violent.
La littérature et de la rhétorique devront être enterrées dans ce pays pour faire aux problèmes. L’exaspération prend de l’ampleur avec la marche du vendredi dernier contre le massacre des soldats maliens. Le peuple interpellera à coups sûrs les premiers responsables et siffler la fin de la Kôteba politique.
Ahmed M. Thiam