Il est un fait que la monnaie affecte tous les domaines de la vie socio-économique des individus et des États, comme en témoignent les grands mouvements sociaux, relayés par la jeunesse africaine dans les pays utilisateurs du FCFA depuis plusieurs années. Ces mouvements auront eu le mérite d’avoir pu faire prendre conscience, en Afrique comme en Europe, du fait que ce FCFA et les mécanismes de sa gestion sont désormais mal vécus comme étant les marques infantilisantes d’un colonialisme rétrograde en Afrique francophone.
C’est ainsi que, comme pour répondre à cette jeunesse africaine, le 21 décembre 2019, le Président français Emmanuel Macron, en présence du Président ivoirien Alassane Ouattara à Abidjan, dira : « c’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme », une annonce qui se résume ainsi qu’il suit :
« Premièrement, le nom franc CFA, qui porte l’empreinte de ses origines coloniales (« franc des colonies françaises d’Afrique »), va être rebaptisé « ECO », apparemment dès juillet 2020 pour les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Deuxièmement, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) n’aura plus l’obligation de déposer auprès du Trésor français la moitié de ses réserves de change.
Troisièmement, le gouvernement français ne sera plus représenté dans les instances de la BCEAO ».
À l’analyse, certes, l’importance de la monnaie ne réside pas dans son appellation, cependant, la monnaie étant considérée comme un des attributs de la souveraineté nationale, sa désignation devra refléter un fait ou un évènement suffisamment représentatif au plan national, librement choisi et de façon consensuelle, afin de refléter le caractère d’unanimité qu’elle revêt dans son espace de souveraineté.
Il semblerait donc paradoxal que le Président français, pour avoir entendu cette jeunesse, ait décidé de ce nom et de son annonce à cette jeunesse africaine. En effet, s’il avait vraiment voulu perpétuer la pratique aujourd’hui décriée, il n’aurait certainement pas pu s’y prendre autrement. Alors, pourrait-on bien se demander, s’il s’agit d’un vrai changement attendu ou bien d’une simple continuité.
Ensuite, par l’annonce faite au deuxième point, il convient de constater que l’obligation de dépôt de la moitié des réserves de change des pays africains au Trésor français, qui a été observée pendant 60 ans, ne se justifiait donc réellement pas. En le faisant, une forte restriction s’est trouvée imposée aux moyens d’intervention des banques centrales régionales, notamment de la BCEAO, en matière de crédit à l’économie, amputant d’autant le développement des activités réelles dans les pays, en termes de perte dans la création d’emplois et de réduction de la croissance.
De plus, ce dépôt consenti à un taux bonifié au Trésor français aura constitué un manque à gagner énorme pour le financement de l’économie de ces pays quand, de surcroit ce même Trésor pouvait être prêteur de ces mêmes sommes aux États qui en étaient propriétaires, se retrouvant par conséquent endettés au moyen de leurs ressources propres du fait d’un cumul de fonctions incompatibles pour le Trésor public, dans un rôle spécifique dans ce cadre de la coopération avec ces pays.
Enfin, en annonçant la disparition du gouvernement français des instances de décision de la BCEAO, le Président français ne donne-t-il pas raison entièrement à la jeunesse africaine dont la colère comme les Français ne proviendrait certainement pas que de simples humeurs, mais bien probablement de pratiques néfastes de leurs autorités dans les pays africains.
En ce qui concerne la relation fixe entre la monnaie en circulation dans les pays africains de la zone franc et celle utilisée en France, nous avons à maintes rappelé, malgré l’amnésie des acteurs de la politique française en Afrique, qu’il s’agit, non pas de relation de parité entre monnaies, mais plutôt de la reconduction d’une pratique monétaire connue dans le Royaume de France qui est fondée sur deux monnaies et qui aura été abolie en 1795 à la faveur de la Révolution française par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795).
Cependant, cette pratique aura été remise sur pied dans les colonies en 1945 en y rétablissant une seconde monnaie à l’image de l’écu, 150 ans après sa disparition, sous l’appellation de FCFA, en contradiction avec le décret indiqué.
Pour comprendre l’importance de ce décret, il convient de rappeler, à la mémoire collective défaillante, le fonctionnement du système monétaire médiéval français fondé sur la Livre Tournois et l’écu et ensuite d’examiner comment l’écu a été supprimé par le décret.
Il est important, aujourd’hui, que les politiques françaises se rappellent de l’épisode de l’histoire monétaire de leur Royaume, de ses conséquences sur les populations et des décisions importantes prises en la matière à l’issue de la grande Révolution française pour la suppression de l’écu que la République française a fini par reconduire dans les colonies en 1945 en l’appelant FCFA.
Ainsi, il apparaît que de 1360 à 1790, le régime monétaire établi dans le Royaume de France était bâti sur deux monnaies : la Livre Tournois et l’écu. Pendant que la Livre tournois était une monnaie fictive, définie en quantité d’or, soit par exemple à 5 grammes d’or, la seconde monnaie, était une monnaie matérielle circulante, appelée écu, définie en quantité de Livre tournois, soit par exemple, 1 écu = 2 Livres tournois. Les Rois guerriers avaient trouvé à travers la manipulation de la seconde monnaie l’écu, une troisième voie de financement du Trésor royal.
Par conséquent, il suffisait pour le Roi, de décider que désormais son écu ne vaut plus 2 Livres Tournois, mais plutôt 1 Livre Tournois. Ce faisant, il retirait les pièces d’écu de la circulation et les refrappait en conformité avec leur nouvelle définition.
Ce faisant, pour une quantité de 1 000 000 écus en circulation, la population apportait au Roi l’équivalent de 10 000 000 gr d’or pour recevoir en retour 5 000 000 gr d’or après la refrappe, dès que le Roi décidait de changer la définition de l’écu en la faisant passer de deux Livres tournois à 1 livre tournois ; le Roi encaissant une différence de 5 000 000 grammes d’or, ce qui provoquait des soulèvements sociaux et des bouleversements des prix donnant lieu à des révoltes des populations qui étaient fortement réprimées.
À la faveur de la Révolution française, le piège de l’écu, la seconde monnaie du Roi a été interdite par le décret du 18 Germinal An III (7 avril 1975) et la Livre Tournois remplacée par le Franc, une pièce de monnaie fabriquée en or, qui existait comme preuve de paiement de la rançon due aux Anglais pour la libération du Roi français, Jean II Le BON, mais qui est resté, jusqu’à l’avènement du décret, sans jouer aucun rôle monétaire.
En effet, l’article 5 du décret indique : «Les nouvelles mesures seront distinguées dorénavant par le surnom de républicaines; leur nomenclature est définitivement adoptée comme il suit:
Et au 5ème aliéna de l’article 5 : « [ ].Enfin, I’unité des monnaies prendra le nom de franc, pour remplacer celui de livre usité jusqu’aujourd’hui. » »
Article 6. La dixième partie du mètre se nommera décimètre et sa centième partie centimètre.
On appellera décamètre une mesure égale à dix mètres: ce qui fournit une mesure très commode pour l’arpentage.
Hectomètre signifiera la longueur de cent mètres.
Enfin, kilomètre et myriamètre seront des longueurs de mille et dix mille mètres, et désigneront principalement les mesures itinéraires.
Article 7. Les dénominations des mesures des autres genres seront déterminées d’après les mêmes principes que celles de l’article précédent:
Ainsi, décilitre sera une mesure de capacité dix fois plus petite que le litre; centigramme sera la centième partie du poids d’un gramme.
On dira de même, décalitre pour désigner une mesure contenant dix litres; hectolitre, pour une mesure égale à cent litres: un kilogramme sera un poids de mille grammes.
On composera d’une manière analogue les noms de toutes les autres mesures.
Cependant, lorsqu’on voudra exprimer les dixièmes ou les centièmes du franc, unité des monnaies, on se servira des mots décime et centime, déjà reçus en vertu des décrets antérieurs.
Ainsi, les seuls sous-multiples admis pour le Franc, l’unité de compté, ou étalon, sont désormais le décime et le centime ».
Il apparaît que l’écu, qui était une unité monétaire hybride que le Roi pouvait modifier et gagner ainsi de l’argent en provoquant de graves crises sociales, a été supprimé par le décret du 18 Germinal An III (7 avril 1975). Cependant, créé en 1945 comme réplique de l’écu dans les colonies, le FCFA est cette unité monétaire hybride, susceptible de prendre des multiples ou sous-multiples de l’étalon, de plus en plus petits, par suite des modifications de sa définition à la baisse comme son devancier l’écu et provoquer de graves crises sociales par diminution, comme l’écu. Par conséquent, le système monétaire français bâti sur deux monnaies est en réalité de retour depuis cette création du FCFA en 1945.
Le changement annoncé récemment par le Président français Emmanuel Macron n’a donc pas touché le cœur du dispositif qu’entourent les accords monétaires, à savoir la seconde monnaie de France que constitue en réalité le FCFA, et qu’il fallait abolir comme son devancier l’écu et réactualiser ainsi en lettre d’or la célèbre Révolution française pour les anciennes colonies, prouvant ainsi que la jeunesse africaine a bien été entendue le 21 décembre 2019 en terre africaine de Côte d’Ivoire, par le Président français en compagnie d’un fils désormais anobli du Continent, le Président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara.
Malheureusement, au lieu de cela, ce fut le changement dans la continuité, donc une occasion ratée pour changer l’image d’une France désormais antipathique pour les Africains avec un Président jeune qui a pourtant tous les atouts pour comprendre la jeunesse africaine.
Aujourd’hui ce FCFA correspond au centime du FF alors qu’auparavant il correspondait au double du centime en 1994, avant la mesure de diminution dont il a été l’objet au nom de la dévaluation du FCFA. C’est ainsi qu’en modifiant le FCFA dans le sens de la diminution comme l’écu, les ressources sont transférées des populations africaines détentrices du FCFA vers le Trésor français, engendrant crises sociales et appauvrissement absolu des populations utilisatrices, grognes et manifestations d’humeur contre les Français.
Appréciant toute la portée de ce décret, nous avons établi, dans le cadre de l’Économie scientifique, que le FCFA de 0,02 FF et sa moitié de 0,01 FF sont des instruments de mesure dont l’utilisation respecte une logique simple et facile pour toute personne bien portante, ce dont le décret constitue une illustration parfaite. C’est ainsi qu’en dotant l’économie d’une théorie de la mesure, il apparait clairement que la pratique de diminution de l’écu et par la suite du FCFA constituent des pratiques dangereuses qui reposent sur la diminution des poids et mesures en économie. Ainsi la pratique du Roi consistant à diminuer l’écu est une fraude, qui aura été reconduite dans les pays africains francophones à travers la diminution du FCFA, faussement dénommée dévaluation du FCFA.
C’est pourquoi il est important de comprendre que les instruments monétaires sont en réalité des instruments de mesure que la théorie économique ignorait jusqu’à nos travaux sur le concept de mesure en 2002[3]. Certes le décret indiqué permet de protéger la population contre ces pratiques néfastes auxquelles reste encore soumis le FCFA à travers la mesure dite de dévaluation du FCFA qui n’est rien d’autre qu’une pratique de diminution des poids et mesures, une mesure de fraude qui est interdite dans toutes les civilisations et toutes les cultures et dont nous avons établi le caractère contreproductif et dangereux dans le cadre de l’Économie scientifique, c’est-à-dire l’économie dotée de la théorie de la mesure.
En conclusion, ces réformes annoncées, avec force conviction de changer les choses, sont encore inopérantes si la volonté française était effectivement d’aller dans le sens d’un vrai changement positif. Dans le cas contraire, il s’agirait plutôt pour la France de faire perdurer une injustice qui maintient de force les populations vives des pays victimes dans une misère qui ne se justifie que par la volonté des plus forts de décider de maintenir bon gré, mal gré une colonisation abjecte qui prive volontairement et par ignorance des populations appauvries sur des terres et sous-sol riches du droit de vivre tout simplement.
Dr Lamine KEITA, A suivre sur le combat