Samba Yattassaye, député élu à Mopti : “Il y aura des nominations et non des élections au centre”

Le scrutin législatif des 29 mars et 19 avril 2020 est plus que jamais compromis par l’insécurité dans la région de Mopti, le nid des terroristes. L’administration est absente dans une bonne partie des circonscriptions électorales avec des milliers de déplacés internes. Le député sortant élu sur la liste RPM-APR-Adéma de la Commune urbaine de Mopti pense qu’il y aura nominations et non élections au centre.

Le gouvernement sous l’impulsion de la communauté internationale a convoqué le collège électoral pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale les 29 mars et 19 avril prochains. La décision a été favorablement accueillie par les partis politiques de la majorité comme ceux de l’opposition même si ces derniers n’ont pas manqué d’objections. L’heure est au dépôt des candidatures à travers le pays, en listes propres ou en alliances ou même souvent en alliances jugées contre nature.

Samba Yattassaye, député élu sur la liste RPM-APR-Adéma de la législature 2014-2018, ressortissant du village de Sokoura et autochtone de Mopti, est l’un des mieux placés pour en parler. Député depuis 1997 vers la fin du mandat d’Alpha Oumar Konaré, M. Yattassaye est à son 3e mandat consécutif et 17e année à l’Assemblée nationale. Il a  été élu sous les couleurs de l’Adéma en 1997, de l’URD en 2002 et de la coalition RPM-APR-Adéma depuis 2014. Pour la prochaine législature, il a décidé de ne pas être candidate. Selon lui, “il est maintenant impossible de tenir les élections législatives à Mopti. Ce n’est pas possible, on veut forcer”.

Les arguments de l’honneur Yattassaye reposent sur l’incapacité de l’Etat à contrôler l’espace géographique de la région de Mopti. A ses dires, le cercle de Mopti compte 15 communes rurales sur lesquelles l’Etat ne contrôle qu’une seule commune, en l’occurrence la Commune urbaine de Mopti ville. Le reste des 14 communes est sous la coupe des présumés Jihadistes. Les sous-préfets de ces communes sont cantonnés à Mopti sous la protection de l’armée et des forces étrangères comme la Munisma. Les populations civiles de ces communes abandonnées par l’administration sont laissées à elles-mêmes, sous la coupe réglée des terroristes qui les tuent, enlèvent leur bétail, les violent  et brûlent leurs greniers.

“Il me paraît difficile d’ici mars, de ramener la sécurité et organiser les élections”. Une vérité de Lapalissade pour qui connaît l’organisation des élections au Mali, malgré la présence de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) et de la Direction générale aux élections (DGE), l’administration locale dans les circonscriptions électorales joue un grand rôle dans l’organisation matérielle des élections. En plus, les partis politiques doivent se mouvoir sur le terrain pour la campagne. Le jour du scrutin, chaque liste de candidatures de partis politiques ou de coalitions de partis politiques mobilise ses assesseurs, l’administration de son côté nomme les présidents des bureaux de vote dans toutes les circonscriptions électorales. “L’Etat veut forcer et nommer des gens, sinon ce ne serait pas des élections”, affirme M. Yattassaye.

Malgré ses appréhensions, le député élu sur la liste APR-RPM-Adéma qui n’est pas candidat à sa propre succession dit que son parti est en train de s’organiser pour déposer sa liste. Il se montre on ne peut plus pessimiste sur l’aboutissement de ces échéances électorales qui pourront donner lieu à des règlements de comptes si les choses se passent autrement.

Règlements de comptes post-électoraux”

“Ce sont des élections de proximité et non une présidentielle, si l’Etat fraude pour une liste, il y aura des règlements de comptes après”, explique-t-il. A ses dires, les forces en présence sont connues et chacun connaît son poids. “Si on veut transformer les résultats, ça ne se passera pas comme ça”. La preuve, dans la Commune rurale de Fatoma, située à 7 km de Sévaré (Mopti), l’administration es partie et les Jihadistes règnent en maîtres. Chaque soir, c’est la Charia qui est appliquée là-bas. “Ce sont les populations elles-mêmes qui accourent vers les jihadistes en brousse pour les appeler à trancher tel ou tel litige. Comment peut-on organiser des élections dans ces contrées dans de telles conditions ? Vous ne trouverez même pas de gens qui accepteront de jouer ce rôle de président de bureau ou d’assesseurs pour se faire tuer après pour des perdiems de 15 000 à 25 000 F CFA”, déplore M. Yattassaye.

La situation est davantage chaotique dans les 8 cercles administratifs de la région de Mopti : Bandiagara, Koro, Douantza, Bankass, Ningari, Sangha, Diallassagou et Dinangourou. Dans ces zones, il n’y a plus de peuls, ils ont tous migré vers Sévaré et Mopti ville ou Bamako dans les camps de déplacés internes. Sévaré et Mopti accueillent aujourd’hui 80 000 déplacés internes. Tous ceux-ci ne pourront pas voter n’étant pas inscrits sir la liste électorale de la commune urbaine de Mopti. Dans les circonscriptions électorales à dominance Dogon (Bandiagara, Koro, Douentza, Bankass, Ningari, Sangha, Diallassagou et Dinangourou), il n’y aura que des candidats Dogons. Ce qui peut créer des conflits poste-électoraux. A Sokoura, dans la Commune urbaine de Mopti, chaque chef de famille fait manger quotidiennement une famille Peul. “Chaque soir, des femmes Peuls font du porte à porte pour chercher à manger pour leur familles”, fait remarquer Samba Yattassaye.

Le député élu à Mopti pense que le moment n’est pas favorable pour les élections. “On devait aller d’abord aux réformes, sécuriser le pays ensuite aller aux élections”, soutient-il. Il balaie d’un revers de la main les arguments qui soutiennent qu’on ne peut pas indéfiniment renouveler le mandat de l’Assemblée nationale qui est aujourd’hui illégitime pour avoir dépassé son mandat qui a été prorogé deux fois. “Cette illégitimité de l’Assemblée nationale ne tient pas. Le Tchad est à sa 8e année sans législatives, faute de moyens financiers”, explique-t-il. Avant d’ajouter, “Idriss Deby, le président tchadien vient de prendre un décret pour proroger le mandat de ses députés”. Il prend pour témoin, Mohamed Saleh Anadif, Haut représentant du Secrétaire général des Nations unies au Mali et Chef de la Minusma, Tchadien de nationalité.

Pour Samba Yattassaye, qui l’un des élus les fréquents dans sa circonscription, une formule pouvait être trouvée pour mettre en place une sorte de constituante où seront représentées les forces vives de la nation pour jouer le rôle d’Assemblée nationale et sauvegarder, l’essentiel,  le pays. “Mon problème est comme si on n’est plus dans un pays, nous ne sommes plus gouvernés. C’est cela qui me fait très mal en tant que citoyen”, juge-t-il.

L’aspect sécuritaire, même s’il a été évoqué en sourdine par l’opposition qui est dans son rôle, ne semble pas intéresser les principaux acteurs du jeu politique. Le cri de cœur de l’honorable Yattassaye est tout de même évocateur. Si le vote peut être organisé dans la quiétude à Bamako, au sud, la situation paraît très compliquée au centre à Mopti et dans une bonne partie des régions de Ségou, de Koulikoro en plus des régions du nord en grande partie. Aujourd’hui, malgré la montée en puissance des FAMa, l’Etat ne contrôle que les 2/3 du pays. Tout le reste est sous l’escarcelle des terroristes.

Ces élections de proximité qui intéressent au premier chef les populations sont très menacées dans les villes du centre. La région de Mopti est particulière frappée de plein fouet par le terrorisme avec des populations civiles meurtries par des attaques tant dans des villages Dogon que Peul. Donc l’armée seule ne fait plus les frais de cette guerre asymétrique.

Abdrahamane Dicko

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