La nivaquine, un médicament à base de chloroquine, pourrait être utilisée dans le traitement du Covid-19. GERARD JULIEN / AFP
L’efficacité et l’opportunité de prescrire de la chloroquine ou des molécules dérivées aux patients atteints du Covid-19 sont encore âprement discutées dans le monde scientifique. Mais comme certains pays l’autorisent déjà de manière plus ou moins restrictive, les laboratoires pharmaceutiques se sont déjà saisis du sujet.
Les demandes ont explosé aux États-Unis où Donald Trump a promu la substance, mais également en France. De quoi inquiéter les personnes qui sont déjà traitées avec ces molécules pour d’autres maladies. Mais, dans l’Hexagone, il s’agirait pour l’instant simplement de perturbations dans la distribution et des délais de livraison rallongés.
Pour le reste, il est déjà important de rappeler que la chloroquine et l’un de ses dérivés, l’hydroxychloroquine, sont des médicaments qui peuvent être dangereux s’ils ne sont pas administrés correctement. Il ne faut donc surtout pas en prendre sans avis médical. Inutile donc de se ruer en pharmacie. En France, depuis le « décret Véran », la prescription dans le cadre du Covid-19 n’est d’ailleurs possible qu’en milieu hospitalier. D’autre part, les laboratoires ont déjà annoncé une augmentation de leur production.
Un médicament « simple à produire »
Quant à savoir s’ils peuvent produire suffisamment en cas de besoin, tous les experts ne sont pas d’accord sur cette question. Et des zones d’ombres demeurent. Mais Frédéric Bizard, économiste de la santé et président de l’Institut Santé, estime qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter.
« C’est une vieille molécule utilisée contre le paludisme depuis plus de 50 ans, explique-t-il. Donc il y a des capacités de production importantes parce que c’est une molécule qui est dans le domaine public. Il n’y a pas de brevet et toute société pharmaceutique peut en théorie la produire. C’est une production simple. Il y a de gros laboratoires comme Mylan ou Teva qui font du générique et qui savent produire très rapidement ce type de médicaments. »
Des usines en Asie, bien sûr, mais pas seulement. Sanofi peut a priori produire en France et en Espagne du Plaquénil à base d’hydroxychloroquine, la substance étudiée par le Dr Didier Raoult. L’usine du groupe français au Maroc fabrique un médicament à base de chloroquine. Mylan reprend sa production de l’une de ces substances aux États-Unis. La Grèce relance la fabrication également. Bref, tout le façonnage n’est pas concentré au même endroit.
Les principes actifs : la clef de la production
Le doute porte surtout sur l’approvisionnement en principe actif à plus long terme. « Le cœur du médicament vient plutôt d’Inde, explique encore Frédéric Bizard. Une société hongroise en fabrique. Mais on ne connaît pas vraiment la capacité de production du principe actif. »
D’autant que l’Inde et la Hongrie ont interdit ou du moins fortement restreint les exportations du principe actif de l’hydroxychloroquine.
Une molécule peu chère
Les avis divergent aussi sur l’égalité d’accès des pays à ces molécules. Frédéric Bizard souligne le caractère relativement démocratique de la chloroquine et de ses dérivés. « Pour l’Afrique, l’opportunité, c’est que c’est une molécule qui coûte très peu cher. Donc on peut penser qu’à travers des aides publiques ou des dons privés, ce serait plutôt une aubaine. »
Nathalie Coutinet, enseignante et co-auteur de L’économie du médicament, a davantage de doute à ce sujet. « On peut imaginer que les pays dans laquelle la molécule est produite la réquisitionneront en premier », analyse-t-elle. D’ailleurs, la France a interdit l’exportation d’hydroxyhloroquine, à titre de précaution. Le Maroc a réquisitionné des stocks.
« On peut aussi envisager qu’il y ait une bataille sur les prix, ajoute l’économiste. A ce moment-là, les Américains qui ont un prix des médicaments beaucoup plus élevés pourraient tirer leur épingle du jeu. Tous les scénarios pour le moment sont possibles. »
Dons des laboratoires
Mais pour l’instant, pas de guerre des prix. Plusieurs laboratoires ont au contraire promis de donner des médicaments. Novartis va donner jusqu’à 130 millions de doses d’ici la fin mai, Teva a promis 10 millions de doses aux États-Unis. Sanofi offre au moins 350 000 boîtes. Alors pourquoi, cette générosité ? Sanofi assure vouloir simplement apporter sa pierre à l’édifice.
Nathalie Coutinet doute cependant que cette multiplication des dons soit complètement désintéressée. « On est face à une crise sanitaire sans égal. Les laboratoires en profitent entre guillemets pour redorer leur image pas mal écornée à la suite des pénuries de médicaments, à la suite des profits énormes qu’ils font, des annonces de médicaments qu’ils arrêteraient de produire pour des raisons financières. C’est sans doute ça la raison, estime l’économiste. Or, le prix de ces médicaments est modeste. Donc c’est une belle opération de communication à un coût peu élevé pour les laboratoires. »
En tous cas, parier sur une augmentation de la production avant même d’avoir confirmation des études représenterait un risque contenu. Les médicaments étant prescrits pour soigner d’autres maladies.
Source : RFI