Le nom de Tomi apparait pour la première fois sur la scène publique lors de l’achat de l’avion présidentiel. Cet achat aurait été effectué grâce à son intermédiaire. Très vite, la justice française a ouvert des enquêtes pour clarifier les contours des actions de Michel Tomi dans ladite affaire. Finalement, en juin 2014, Tomi est mis en examen pour, notamment, corruption d’agent public étranger, abus de confiance et recel d’abus de bien social.
La justice française s’est aussi intéressée à l’origine de ses revenus et ses relations avec Ibrahim Boubacar Keïta, sur lequel il fait peser de forts soupçons. Les liens avec IBK ne font alors l’ombre d’aucun doute. Le chef de l’Etat attribue même au « parrain des parrains » corses, le titre « d’ami ». Durant l’élection présidentielle de 2013, IBK a voyagé avec les avions d’Afrijet (compagnie d’aviation de Tomi), mais Michel Tomi dément avoir financé sa campagne.
En juin 2018, la justice française a finalement prononcé un « non-lieu » en faveur de Michel Tomi, « attendu qu’il ne résulte pas de l’information (judiciaire), charge suffisante contre » lui. Mais, même avec ce « non-lieu », la crédibilité du chef de l’Etat aura été sérieusement entachée par les relations troubles qu’il entretien avec le sulfureux homme d’affaire corse.
Lors de son audition par les juges français, Tournaire et Robert, Michel Tomi a détaillé sa relation avec IBK et certains des « cadeaux » offerts au président IBK. Une Rolex. Des costumes de luxe et des smokings. Des virées shoping à Paris pour la première Dame et la famille présidentielle. Mais également des smartphones et des iPads. Lors des visites à Paris du président et de sa famille, c’est Michel Tomi qui réglait la note d’hôtel à « La Réserve » ou au « Franklin Roosevelt », deux palaces de haute gamme. Autant de « cadeaux » qui s’apparentent clairement à de la corruption…
Dans cette même affaire, le bras droit de Michel Tomi, Marc Gaffajoli a été attendu par la justice française. Marc Gaffajoli était le directeur d’Afrijet, la société de location d’avions au Gabon appartenant à Michel Tomi. Il a été entendu en juin 2015 à Nanterre, en région parisienne, par les policiers français qui cherchaient à savoir dans quelle mesure il a participé à l’achat de l’avion de commandement du Mali.
La révélation était faite par le magazine Jeune Afrique (avec AFP), dans sa parution du mardi 23 juin 2015, sous le titre : « Un proche de l’homme d’affaires français Michel Tomi a été auditionné, lundi, dans le cadre de l’enquête pour corruption ».
Même si aucune charge n’a été retenue contre Marc Gaffajoli, ni aucune mise en examen prononcée pour le moment, l’hebdomadaire a révélé que les policiers cherchent à savoir dans quelle mesure Marc Gaffajoli, directeur d’Afrijet, a participé à l’achat du Boeing présidentiel malien, estimé à 20 milliards de F CFA (environ 30,5 millions d’euros).
L’avion du scandale
Cet avion a été acquis à la suite d’un montage financier opaque de type mafieux mêlant sociétés-écrans et hommes d’affaires douteux. Hors de toute inscription budgétaire, 20 milliards de francs CFA ont été sortis des caisses de l’Etat pour acquérir un Boeing 737 non encore immatriculé au nom du Mali.
Cet achat controversé n’a pas manqué de susciter les critiques acerbes des institutions de Brettons Woods.
Le Bureau vérificateur général (BVG), autorité indépendante, alerté par Tracfin, a dénoncé lors de l’acquisition de l’appareil, des pratiques de surfacturation, de détournement de fonds publics, de fraude, de trafic d’influence et de favoritisme.
On sait de l’histoire que le ministre signataire du contrat d’achat du Boeing 737 a avoué, selon le BVG, que l’avion n’est pas propriété du Mali malgré les décaissements effectués à hauteur de 19 milliards de francs CFA.
Le Boeing 737 a été immatriculé sur le registre de l’aviation civile de l’île d’Aruba (Antilles néerlandaises) située au large du Venezuela au nom de la société ” Mali BBJ Limited”. Cette société a été constituée, le 7 mars 2014 à Anguilla (un territoire britannique d’outre-mer situé dans les petites Antilles), selon un mandat donné, le 5 mars 2014, à un avocat d’affaires par le gouvernement du Mali aux fins de constituer une société pour immatriculer l’avion et l’exploiter.
Pour l’exploitation du Boeing, le gouvernement d’Aruba a attribué une licence radio avec des fréquences à une société dénommée “Jet Magic Limited” située à St-Julian sur l’île de Malte ! En vue de l’utilisation de l’avion par le président du Mali, un contrat-bail a été signé entre le ministère de la Défense du Mali et la société “Mali BJJ Ltd” (société créée par le Gouvernement du Mali).
“Mali BJJ Ltd” étant une société créée par le Mali, les redevances générées par l’exploitation de l’avion devraient être payées au Mali.
Outre les conditions de son acquisition, le Boeing présidentiel coûte chaque année, depuis 2014, 10 milliards de F CFA aux contribuables maliens. A noter qu’un tiers des voyages effectués à son bord sont des voyages privés.
Ainsi, l’histoire du Boeing 737 malien n’est rien d’autre que l’histoire d’une ” ingénierie” financière diabolique d’essence mafieuse mêlant sociétés-écrans et paradis fiscaux, le tout, au détriment du trésor et du contribuable maliens.
Qui est Michel Tomi ?
Tomi Michel a débuté comme croupier à Monaco avant d’intégrer, en 1968, l’un des cercles de jeux parisien contrôlé par les Francisci, les empereurs des jeux d’alors, qui lui mettent le pied à l’étrier. En 1974, il est au casino Ruhl, à Nice, où règne Jean-Dominique Fratoni, le « Napoléon des tapis verts » lié à la mafia, avant de tenter l’aventure à l’étranger.
De retour en France, il est interdit de gestion dans le casino dont son frère, Jean Tomi, est l’actionnaire principal à Bandol (Var). Un établissement fermé en 1988 après l’ouverture d’une enquête. Lors du procès, en 1996, il apparaît que de l’argent du casino était versé à des poids lourds du milieu marseillais.
Après cette affaire, Michel Tomi rebondit grâce à un homme qui lui ouvre les portes de l’Afrique : Robert Feliciaggi. Tomi apporte sa connaissance des jeux et une idée : implanter le PMU en Afrique francophone. L’Afrique subsaharienne leur ouvre les portes. Leur fortune est faite.
Ses finances, aujourd’hui illimitées, sont à l’abri en Afrique et dans les paradis fiscaux, car il n’a plus aucun compte bancaire en France depuis l’affaire du casino d’Annemasse. Il a été condamné pour avoir financé, par le biais de sa fille, directrice du PMU au Gabon, la campagne du Rassemblement pour la France de Charles Pasqua pour les élections européennes de 1999 en contrepartie d’autorisations pour exploiter l’établissement de jeux de Haute-Savoie.
Michel Tomi vit, de fait, en Afrique, au Maroc, au Gabon et au Mali. Il vient à Paris régulièrement et à Marseille. En 2007, la mise sur écoute de son téléphone dans l’enquête sur l’assassinat, en mars 2006, de son ami Robert Feliciaggi, avait levé une partie du voile sur ses activités. Dirigeant des principaux établissements de jeux en Afrique de l’Ouest, son groupe Kabi s’est étendu géographiquement et s’est enrichi d’autres activités comme l’hôtellerie, le BTP et l’immobilier.
« La force des Tomi, c’est qu’ils étaient proches d’IBK »
Depuis 2005, Michel Tomi est également à la tête, avec son fils, Jean-Baptiste, qui effectue des déplacements souvent à Dubaï, de la compagnie Afrijet Business Service, qui possède des Falcons. Avec un associé, il a mis la main sur Gabon Airlines. Les écoutes de 2007 soulignaient ses relations privilégiées avec la famille du président gabonais d’alors, Omar Bongo, et surtout son fils, Ali, à l’époque ministre de la Défense.
Mais l’ère gabonaise des Tomi est aujourd’hui terminée. Leur influence a reculé à mesure que celle du directeur de cabinet d’Ali Bongo, Maixent Accrombessi, grandissait. Les Tomi ont réduit leurs activités au Gabon pour s’investir au Mali où leur ami Ibrahim Boubacar Keïta a été élu président de la République en 2013.
Durant l’élection présidentielle, IBK a voyagé avec les avions d’Afrijet… Selon un diplomate français, rencontré en juin 2013 à Bamako, « la force des Tomi, c’est qu’ils étaient proches d’IBK quand il n’était rien, ils ont du flair ».
Mémé Sanogo
Source : L’Aube