Charles Michel, président du Conseil européen, était ce vendredi 17 avril, l’invité du matin de RFI. Coronavirus, confinement, situation en Afrique face à la pandémie…Il répond aux questions de Frédéric Rivière.
RFI : Vous avez présenté mercredi les grands axes sur lesquels vous aimeriez que l’Europe avance, lors du nouveau Conseil européen qui aura lieu jeudi prochain. Les chantiers sont nombreux et complexes. D’abord, on a entendu la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, présenter des excuses à l’Italie pour le manque de réaction de l’Europe, au moins au début, face à la terrible épreuve qu’elle a traversée avec le coronavirus. Diriez-vous, vous aussi, que l’Europe a été défaillante dans les premiers jours, voire les premières semaines de la crise ?
Charles Michel : Ce qui est certain, c’est que partout dans le monde et sur le plan européen, on n’a pas tous mesuré exactement au même moment l’ampleur de la crise à laquelle nous faisions face. Et il est certain aussi que dans les premiers jours, il a été difficile d’activer immédiatement la coopération, la solidarité, entre les pays européens.
Tout en reconnaissant cette dimensions-là, je veux aussi affirmer que lorsque les chefs d’État et de gouvernement ont tenté de prendre les choses en mains depuis le début du mois de mars, à leur niveau de responsabilité, des actions très rapidement ont été entreprises. Aujourd’hui, l’Europe s’est mise en marche. Cela reste difficile, parce que nous devons gérer une situation à laquelle on n’est pas parfaitement préparés, il faut le reconnaître, et chacun mesure bien qu’il y a quelques mois à peine, personne n’aurait pu mesurer que le monde entier serait frappé par une telle crise, qui est exceptionnelle par son ampleur et par sa nature.
Vous souhaitez que l’Europe sorte renforcée de cette crise. Mais cette épreuve a fait naître ou renaître de fortes aspirations à plus de souveraineté des États. Est-ce que c’est compatible avec un renforcement de l’Europe ?
J’entends parfois des messages paradoxaux, parfois ceux qui plaident pour plus de souveraineté des États, une forme de nationalisme plus poussé, qui en même temps semblent reprocher à l’Europe de ne pas avoir agi plus vite. Si on veut que l’Europe agisse plus vite, il faut aussi donner plus de moyens d’agir plus vite, des moyens en tant que capacités financières et aussi en termes de compétences, en termes de responsabilité.
C’est par exemple pour cela que j’en appelle à ce que l’on puisse, lorsque la crise sera derrière nous, en tirer un certain nombre de leçons, notamment sur le terrain de la résilience, la capacité de résistance quand on est confronté à des épreuves telles que celle-là. Et par exemple, pour être très opérationnel, je pense qu’on a besoin d’un véritable centre de gestion des crises européen, doté des pouvoirs, de capacités de commandement, de capacités de coordination beaucoup plus fortes. Si je prends la question de la santé, c’est une compétence essentiellement nationale.
Cela étant dit, ma conviction, quand je regarde l’histoire de ce projet européen, chaque fois que l’on est confronté à des crises que l’on considère comme étant extrêmement douloureuses, difficiles, ce sont dans ces moment-là que les Européens, le plus souvent, trouvent la ressource. Ressource pour se serrer les coudes, pour se rassembler et pour faire des pas en avant. Et c’est pour cela que mon optimisme me pousse à considérer que l’on doit saisir cette occasion, même si cette crise est aujourd’hui tragique. Parce que de très nombreuses familles sont directement et tragiquement affectées pour envisager une Europe plus forte, plus solidaire, qui fonctionne mieux, plus rapide, plus réactive, plus agile aussi, quand on est confronté à ce type d’épreuve.
Si on continue un instant à regarder plus loin, est-ce qu’il faudra refonder l’Europe, pour reprendre l’expression régulièrement employée par Emmanuel Macron ?
Je pense qu’il y aura un avant et un après. Il n’y aura pas la routine habituelle après cette crise. Ce n’est pas une option, ce n’est pas possible. Donc il est tout à fait fondamental de continuer à travailler pour moderniser le projet européen, pour renforcer le projet européen. Les sujets qui étaient sur table avant cette crise n’ont pas disparu. L’agenda digital, l’agenda pour faire reculer cette menace climatique, doivent être les piliers pour retrouver une capacité de relance économique qui est une garantie pour la cohésion sociale, pour essayer de venir en soutien aux familles, aux travailleurs, dynamiser notre économie… Ce sera tout à fait indispensable. Et dans le même temps, je pense que la transformation va être nécessaire également, la transformation du modèle économique, la transformation de l’engagement européen, sera certainement indispensable, aussi.
Dans les prochaines semaines, il va donc y avoir au moins deux défis à relever, le déconfinement et la relance économique. D’abord, sur la sortie du confinement, vous souhaitez qu’elle soit coordonnée. Or, pour l’instant, on voit qu’on n’en prend pas du tout la direction. Plusieurs pays ont déjà annoncé leur propre agenda. Vous le déplorez ?
La ligne de fraction aujourd’hui, entre les partisans d’une mutualisation de la dette et les adversaires de cette solution reste assez importante. Selon vous, est-ce que des eurobonds ou des « coronabonds » verront le jour ?
Ce que je crois, c’est qu’il est essentiel de marquer, de garantir la solidarité entre les pays européens. Il ne serait pas acceptable que des pays qui étaient en situation plus difficile avant la crise, et dont la situation a d’ailleurs été aggravée par la crise du coronavirus, soient abandonnés et laissés de côté. Donc cette solidarité est tout à fait indispensable. On a plusieurs instruments pour la solidarité. Certains pays plaident pour des formes de mutualisation, notamment sur le terrain des dettes. Le budget européen est une forme très puissante de solidarité européenne. Et nous devons, cette année, prendre des décisions pour le budget européen qui portera sur les prochaines années.
C’est donc une occasion et une coïncidence du calendrier que l’on doit saisir. Et c’est la raison pour laquelle mon intention est d’essayer d’activer avec les chefs d’Etat et de gouvernement la négociation sur le dossier budget européen. Pourquoi ? Parce qu’au départ de ce budget européen on peut développer des mécanismes de financements innovants qui peuvent démultiplier les capacités d’investissements, notamment en lien, par exemple, avec la Banque européenne d’investissement.
Il y a également la question de la dette des pays africains. Pour l’instant, les pays du G20 se sont mis d’accord sur un moratoire sur les intérêts de la dette. Mais la France, par exemple, veut aller plus loin en procédant à des annulations de dettes. Est-ce que vous croyez qu’une majorité de pays membres soient prêts à s’engager dans cette voie ?
J’y suis en tout cas très favorable pour ce qui me concerne. J’ai été dans le passé ministre de la Coopération et du Développent. C’est un sujet pour lequel je me suis beaucoup mobilisé et je vais continuer dans ma responsabilité européenne. Me mobiliser sur ce sujet, parce que je pense effectivement que dans la stratégie de relance et de transformation pour l’Union européenne après cette crise, plus que jamais le partenariat avec l’Afrique va être un élément clé. Et on voit bien que l’Afrique pourrait être très affectée par ce coronavirus. Je salue d’ailleurs l’initiative que nous avons soutenue, du président Macron, afin de développer et de renforcer ce partenariat avec l’Afrique. Je crois qu’il y a une action à court et moyen terme, soutenir des systèmes sanitaires et l’activation de mesures sur les dettes, comme par exemple, des remises de dettes, est une manière très rapide, très directe, de venir en soutien à la capacité des États africains, de faire face à court et moyen terme, à la crise à laquelle nous sommes confrontés.
Il y a un autre élément qui doit nous tenir à cœur. Je pense qu’on a besoin d’un partenariat très solide. Ce ne sont pas des mots. Cela nécessite effectivement des actions très concrètes avec le continent africain. Il est de notre intérêt que l’Afrique se porte mieux pour des raisons très évidentes. C’est pour cela que je pense qu’à l’avenir, on devra beaucoup plus mobiliser les secteurs privés, travailler sur les infrastructures en Afrique, les télécoms, le transport, les systèmes sanitaires. Et tout cela, d’ailleurs, correspond aux priorités européennes, l’agenda digital…
Les annulations de dettes des pays africains devraient-elles être inconditionnelles ?
Je pense qu’elles doivent être le plus possible inconditionnelles. Je mesure bien qu’on ne peut pas rester dans l’inconditionnalité totale, mais on doit effectivement agir le plus rapidement possible. Et je dois rajouter un autre élément. Il est essentiel sur ce sujet-là d’ouvrir un dialogue très fort avec la Chine, parce qu’il ne serait pas acceptable que nous procédions à des remises de dettes au niveau européen, donnant la capacité de marges d’endettement nouvelles en direction de la Chine. La Chine qui est aussi présente sur ce continent doit aussi être mobilisée et être engagée dans ce débat sur la remise de dette.
Source : RFI