Comment je suis passé d’expert en fabrication de bombes à militant pour la paix

Ali Fauzi était un membre clé de Jemaah Islamiyah, un groupe islamiste ayant des liens avec Al-Qaida. Le groupe est responsable du pire attentat perpétré en Indonésie – l’attentat de Bali en 2002 qui a tué plus de 200 personnes.

« Je suis un expert en fabrication de bombes. Je peux fabriquer des bombes en seulement cinq minutes », déclare Ali.

Il affirme que ce sont ses frères qui ont perpétré l’attentat de Bali.

« C’était une énorme bombe placée au cœur du quartier touristique de l’île », précise-t’il.

Le groupe a ensuite commis une série d’attentats à la bombe en Indonésie. Des attaques meurtrières contre des grands hôtels et des ambassades occidentales. Le village de Tenggulun à Lamongan, dans l’est de Java, une petite localité apparemment paisible, était le camp de base du groupe.

Aujourd’hui, Ali Fauzi a une mission très différente. Il aide les anciens djihadistes à abandonner leur vie de violence et à empêcher que de nouvelles recrues viennent grossir les rangs de groupes djihadistes en Asie du Sud-Est.

« En réalité, il est facile de recruter des gens pour rejoindre les groupes terroristes », dit-il.

« Ils n’ont qu’à appuyer sur la gâchette et beaucoup de gens les rejoindront, mais le processus de déradicalisation prend du temps. Il doit se faire étape par étape », explique-t’il.

Sa nouvelle mission le met en danger.

« Je reçois constamment des menaces, ce ne sont pas seulement des attaques verbales mais des menaces de mort. Mais, honnêtement, je n’ai pas peur parce que je sais que ce que je fais est juste. Je suis prêt et préparé à mourir en faisant cela », affirme Ali.

Ce sont des vidéos de guerres dans d’autres pays – en Afghanistan, en Bosnie et en Palestine, regardées sur des téléphones portables depuis leur tranquille village javanais – qui ont motivé Ali Fauzi et ses frères à rejoindre des groupes islamistes.

« Nous avons vu des vidéos d’attaques sanglantes contre des civils. Je voulais mener le jihad pour protéger les musulmans des tyrans. Je voulais me battre », raconte-t’il.

Alors que ses frères sont partis combattre aux côtés des moudjahidin, en Afghanistan, Ali Fauzi est resté plus près de chez lui, rejoignant les militants islamistes qui luttent pour la création d’un Etat islamique dans le sud des Philippines.

« Je voulais vraiment mourir là-bas. J’imaginais tout le temps ma propre mort », dit-il.

« Je croyais que si j’étais tué au combat, j’irais directement au ciel et que des anges viendraient à ma rencontre. C’est ce que nos mentors nous disaient chaque jour. », témoigne-t’il. Lorsque ses frères sont revenus d’Afghanistan, ils ont mis en pratique ce qu’ils avaient appris à l’étranger.

En octobre 2002, ils faisaient partie d’un groupe qui a fait exploser deux bombes visant des boîtes de nuit dans la région de Kuta à Bali, une île populaire auprès des touristes occidentaux.

« Quand j’ai vu les images à la télévision et j’ai été choqué, il y avait tant de cadavres. Cette attaque a conduit les autorités jusqu’à nous », dit Ali Fauzi.

Deux de ses frères, Ali Ghufron et Amrozi, ont été exécutés tandis que son troisième, Ali Imron, a été condamné à la prison à vie. Ali Fauzi, qui insiste sur le fait qu’il n’était pas impliqué dans l’attentat de Bali, a passé trois ans en prison pour d’autres infractions liées au terrorisme. C’est alors que sa vie a pris une direction radicalement nouvelle.

« La police m’a traité avec beaucoup d’humanité. S’ils m’avaient torturé, peut-être que sept générations après moi auraient continué à combattre le gouvernement indonésien », dit-il.

« Je détestais la police, nous la considérions comme Satan. C’est ce qu’on nous a appris. Mais j’ai découvert une réalité complètement différente. C’est alors que mon point de vue a complètement changé », raconte Ali.

Il a également rencontré des victimes d’attentats à la bombe que son groupe avait perpétrés. « J’ai pleuré. Mon coeur a fondu, en voyant l’effet horrible de nos bombes. C’est ce qui m’a donné envie de me transformer d’un agent de guerre en guerrier de la paix », témoigne-t’il.

Alors que l’appel à la prière du soir retentit dans le village de Tenggulun, des tapis de prière sont déroulés sur une place à côté de la principale mosquée du village. Ils se trouvent juste à côté du bureau du Cercle de la paix, la fondation qu’Ali Fauzi a créée en 2016 pour détourner les gens de l’extrémisme.

La prière de ce soir est animée par deux victimes d’attentats à la bombe, invités d’honneur dans ce village qui était autrefois le camp de base des groupes de militants djihadistes qui ont mené les attaques ayant détruit leurs vies.

« J’amène souvent des victimes dans le village car les rencontrer a été la chose qui a détruit mon ego », dit Ali Fauzi. Sur l’écran situé sur le côté de la scène, une vidéo aux images choquantes montre les conséquences de toutes les bombes en Indonésie. Dans le public se trouvent certains policiers qui ont arrêté des membres de cette communauté, ainsi que des personnes ayant purgé des peines de prison pour actes de terrorisme.

Ils écoutent les victimes des explosions parler, en pleurant, de la souffrance qu’elles ont endurée.

Dans le public se trouve Zulia Mahendra, 33 ans. Il était adolescent lorsque son père, Amrozi, a été arrêté, condamné à mort puis exécuté pour son implication dans l’attentat de Bali. Amrozi a été surnommé « l’assassin souriant » par les médias parce qu’il n’a montré aucun remord pendant le procès, souriant tout au long des audiences et défiant la mort.

Après la réunion, Mahendra salue les deux victimes de l’attentat. Ils s’embrassent et se tiennent la main, et il s’excuse à plusieurs reprises.

« Je veux dire que je suis désolé, pas parce que j’ai tort. Mais il était mon père et ce sont les victimes des actions de ma famille. J’ai la responsabilité de m’excuser, au nom de mon père », dit-il. Mahendra, lui aussi, a subi une transformation étonnante.

« Quand mon père a été exécuté, j’ai voulu me venger. Je voulais aussi apprendre à fabriquer des bombes », avoue-t-il.

« Mais avec le temps et les conseils de mes oncles – Ali Fauzi et Ali Imron – j’ai compris que ce n’était pas la bonne chose à faire. Et je me suis joint à leur projet pour aider d’autres terroristes à changer », raconte Mahendra.

« Il m’a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour devenir ce que je suis aujourd’hui. Mais je suis arrivé à un stade où j’ai compris que le jihad ne consiste pas à tuer des gens ou à se battre, cela peut signifier travailler dur pour sa famille », dit Mahendra. »Une nuit, dit Mahendra, j’ai regardé mon enfant endormi et j’ai pleuré en pensant à mon père. Je ne voulais pas que mon enfant ait à subir ce que j’ai subi. Si je continuais à emprunter le même chemin que mon père, mon enfant aussi serait abandonné. Je savais que le bon djihad consistait à s’occuper d’eux – à les protéger ».

Mais il dit qu’il a des amis qui ont rejoint des groupes militants dissidents en Indonésie, plus ou moins liés au groupe État islamique (EI).

« De nombreuses raisons expliquer qu’une personne aille dans cette direction – sa situation économique, le fait de n’avoir rien à faire… ce qu’on lui enseigne et par qui elle est influencé… », explique Mahendra.

Ali Fauzi frappe à la porte de la prison de Lamongan. C’est un lieu familier pour lui, qui est venu ici à plusieurs reprises pour rencontrer des membres de sa famille qui purgent des peines de prison, mais aussi pour travailler avec les nouveaux détenus afin d’essayer de changer leur vie.

« Mon travail de déradicalisation n’est pas basé sur la théorie. Il est basé sur l’expérience de la vie. J’étais un combattant et un terroriste, alors je viens dans les cellules en tant qu’ami », déclare-t’il.

Mais il fait face à une résistance et est considéré par certains comme un traître pour avoir travaillé avec la police.

« Ils disent que je suis encore plus un kafir [incroyant] que la police ou les gardiens de prison. Je suis régulièrement victime de harcèlement en ligne ou d’appels téléphoniques menaçants. Mais c’est normal. Je peux le supporter », dit-il en souriant.

« La déradicalisation n’est pas facile car vous devez gérer les émotions et la façon de penser des gens, vous devez leur donner le bon médicament. Et parfois, on se trompe », explique Ali.

Parfois, ils ont raison

Sumarno, dit-il, est l’une de ses réussites.

Il m’emmène dans un champ aride, situé au bord de la route à l’extérieur du village. C’est là que Sumarno dit avoir caché des armes appartenant à Jemaah Islamiyah, après l’attentat de Bali. Après avoir purgé une peine de trois ans de prison, Ali Fauzi a aidé Sumarno à créer une petite entreprise – une agence de voyage proposant des forfaits de pèlerinage à la Mecque. « Maintenant, je veux rendre à la société ce qu’elle m’a donné. Avec cette compagnie de voyage, j’espère pouvoir laisser ma vie de violence derrière moi », dit Sumarno.

Assis dans son bureau connecté et climatisé de Paciran, à 20 minutes de route du village, il dit qu’il était nerveux au début de parler à ses clients de son passé violent, faisant même attention à ne pas dire de quel village il venait.

Mais maintenant, il commence la visite avec ce qu’il appelle son histoire de rédemption. « Je dis que je suis le cousin d’Ali Gufron et d’Amrozi qui ont été exécutés pour avoir perpétré les attentats de Bali. Je leur dis : Je faisais partie de leur groupe. Mais grâce à Allah, j’ai été guéri de cette façon de penser pourrie. Et je suis votre guide touristique pour la Mecque », témoigne-t’il.

Dans une salle à côté de la mosquée du village, se tient un club organisant des activités extrascolaires pour les plus jeunes. Des enfants vêtus de vêtements colorés récitent le Coran.

Certains de leurs parents sont derrière les barreaux, accusés de terrorisme.

Parmi les enseignants figurent Lulu, la femme d’Ali Fauzi, et Zumrottin Nisa, qui est mariée à Ali Imron.

« Nous insistons auprès d’eux sur le fait que tout le monde ne croit pas à la même chose. Qu’il y a des gens dans notre communauté qui ne sont pas musulmans et que nous devons les traiter avec respect tant qu’ils n’essaient pas d’interférer avec notre foi », dit Lulu.

Mais dit-elle, ils ne sont pas parvenus à convaincre tout le monde.

« Il y a ceux qui sont pour et contre notre nouvelle mission. Ceux qui sont encore militants ne nous aiment pas. Ils restent loin de nous », dit-elle.

« Nous étions un groupe avec la même mission, mais nous avons changé après que l’attentat de Bali ait tué tant d’innocents, dont beaucoup de musulmans. Il y en a d’autres qui n’ont pas changé », raconte Lulu.

En mai dernier, une famille de kamikazes a attaqué trois églises à Java Est. Le père en a attaqué une, ses fils adolescents en ont visé une autre, et sa femme et ses deux filles, âgées de 12 et 9 ans, se sont fait exploser dans la troisième.

Les famille d’attaquants faisait partie du réseau Jamaah Ansharut Daulah (JAD), qui est plus ou moins lié à l’EI.

Le JAD a mené une série d’attaques contre les forces de sécurité indonésiennes et les minorités religieuses. La plus récente a été une attaque au couteau, perpétrée par un jeune couple, contre le plus haut responsable de la sécurité du pays, Wiranto.

Dans le bureau du Cercle de la paix, Lulu Fauzi se dit choquée que les femmes prennent une part aussi active dans les violences.

« Mon mari travaille dur pour s’assurer que les ex-prisonniers détenus pour terrorisme ne retournent pas en prison. Il les rassemble et il a réussi à faire changer beaucoup de gens. Mais beaucoup de gens sont encore radicaux. Nous ne pourrons jamais vraiment éradiquer ce fléau », dit-elle.

Alors que nous traversons le village, le téléphone d’Ali Fauzi sonne constamment.

Il prend l’appel d’une personne récemment libérée, après avoir purgé une peine de prison pour terrorisme, qui a besoin d’aide pour trouver un logement.

Puis, il reçoit autre appel d’une mère dont le fils est interrogé par la police.

« Des dizaines de personnes de notre communauté sont allées se battre avec l’État islamique en Syrie et en Irak », dit-il.

« Il n’y a pas longtemps, un membre de l’EI a été arrêté par la police ici. Donc les groupes militants existent toujours et ils menacent toujours l’Indonésie », observe-t’il.

Maintenant, il est impliqué, selon lui dans une bataille pour lutter contre l’extrémisme et l’intolérance.

« Si nous travaillons dur et que nous impliquons toute la communauté, alors j’ai toujours l’espoir que nous pouvons gagner cette guerre »,affirme Ali.

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