Le célèbre écrivain burkinabè Joseph Ki-ZERBO en 1972 disait dans son ouvrage sur l’histoire de l’Afrique noire : « Ni an laara an saarah » ce qui se traduit littérairement, si nous nous couchons, nous sommes morts. Aujourd’hui, cette phrase résume bien la situation du peuple malien. De mars 1991 à nos jours, le peuple malien dans toutes ses composantes a tout vu, du triste à l’effroyable. Pour la première fois, dans notre histoire récente, le pays connait une partition de faite, l’autorité de l’Etat ne s’exerçant pas sur toute l’entendue du territoire national. Il est impossible de lister les faits enregistrés depuis 2012, dans notre pays, qui nous rappellent que nous ne sommes plus que l’ombre de nous-mêmes.
Mais un fait nous paraît fortement destructeur pour notre pays, notre Nation, c’est la résignation du peuple à vivre avec l’humiliation. Malgré les apparences de liberté cachées par le drapeau et les armories de la République ; nous savons que nous ne sommes pas indépendants, encore moins une démocratie. Le seul pays indépendant des ex colonies d’Afrique française étant l’Algérie, qui a su recouvrer sa liberté par une lutte héroïque. Indépendant, nous le serons un jour ; puisqu’on « finit toujours par sevrer les enfants » selon Norbert ZONGO (in Sens d’un combat, p 60). Aujourd’hui, le Mali lutte plus que jamais pour son existence, et c’est bien là, que nous logeons l’objet de cet article. Il a vocation de susciter la réflexion sur notre existence en tant que Etat, Nation, République. C’est une contribution à la réflexion afin que nous donnons une base idéologique à l’existence de notre peuple, de notre Nation ; donc un idéal à vivre.
L’Etat et le gouvernement, quelles que soient leur forme, ne sont pas des fins en soi ; mais des moyens pour atteindre un but. La raison d’être d’un Etat, le but d’un Etat est d’œuvre pour l’existence et le bien-être de la Nation, du peuple, dont il préside la destinée sur un territoire bien donné qui est la République.
Pour asseoir notre analyse, nous allons dans un premier temps, définir les concepts d’Etat, de Nation et de République afin de bien fixer la base de notre réflexion. Après cette clarification, nous présenterons dans un second temps, des faits qui renient ces concepts et justifiant l’envie de vivre exprimé lors de la marche du 05 juin 2020. Enfin dans un troisième temps, nous présenterons les raisons qui nous font espérer.
- Au Mali, peut-on encore parler d’Etat, de Nation et de République ?
L’universitaire français Yves Person dans la Révolution dyula en 1968, affirmait que, « ce que la colonisation et la décolonisation ont établi en Afrique noire, ce n’est pas la Nation, mais l’État, avec ses prétentions rationnelles ». Qu’entendons-nous donc par Etat et Etat-nation ? L’Etat, c’est l’instance qui oriente, qui arbitre et qui dans bien des domaines, décide. L’Etat, c’est une puissance, ce n’est pas la seule, protectrice, anticipatrice, et ré-distributrice. Elle garantit l’idée même du bien commun par-delà la confrontation des égoïsmes ou des corporatismes ou l’exubérance des attentes parfois irraisonnées. L’Etat, c’est la référence collective, l’incarnation de l’intérêt général, même si l’Etat ne détient pas par lui-même le monopole de l’intérêt général. Car l’Etat est au service de la Nation, il n’est pas la Nation à lui seul. Et l’Etat ne peut pas prétendre tout faire tout seul, s’il ignore la multiplicité des organes qui constituent le corps vivant, le corps social, alors il se condamne à l’inefficacité et parfois même à l’impuissance. L’Etat doit être respecté, à condition qu’il respecte les autres partenaires (société civile, corporations, associations…). L’Etat-nation est un domaine dans lequel, les frontières culturelles se confondent aux frontières politiques. L’idéal de l’Etat-nation est que l’Etat incorpore les personnes d’un même groupe ethnique et culturel sur un territoire déterminé. Cependant, la plupart des Etats africains sont multiethniques.
La définition de la République en elle-même n’est plus discutée, nous acceptons celle de Rousseau. Jean- Jacques Rousseau dans le contrat social publié en 1762, définie la République comme étant « toute société régie par la loi ou qui est gouvernée par la volonté générale de son peuple : ainsi l’intérêt public domine, et la chose publique est quelque chose ». Le philosophe Montesquieu dans les Lois et la République, identifie deux systèmes de gouvernement, le régime démocratique et le régime aristocratique : « lorsque, dans la république, le peuple a la souveraine puissance, c’est une démocratie. Lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie ».
Au regard de ces définitions, sans galvauder ces concepts, ils seraient difficilement applicables au Mali.
Montesquieu dans l’Esprit des Lois en 1748, part des grands principes qui régissent l’histoire des sociétés politiques, pour soutenir que « dans nos sociétés, les événements ne se déroulent pas au hasard. Il y a des lois générales, qu’il s’agit d’identifier : j’ai posé les principes et j’ai vu les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n’en être que les suites ». Au regard cette assertion, la situation actuelle du Mali n’est pas un hasard, c’est la somme de nos défaillances.
- Des faits qui contrarient l’existence de l’Etat, de la Nation et de la République
L’absence de l’autorité de l’Etat sur une bonne partie du territoire, la présence des groupes armés, la présence des forces étrangères sur le sol malien, les affrontements intercommunautaires, sont malheureusement autant de faits qui contrarient l’existence de l’Etat, de la Nation et de la République.
Au début de l’année 2012, de janvier à avril, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), allié aux groupes dihadistes Ansar Dine, Mujao et Aqmi, mena des attaques sur les camps militaires et les villes situés dans les régions de Gao, de Tombouctou et de Kidal, remettant en cause l’unité territoriale du Mali. Pendant un certain temps, avant l’intervention française en Javier 2013, la charia a remplacé les lois de la République dans le septentrion malien. Nul besoin de rappeler les horreurs qui ont heurté nos consciences, sans déclenché la révolte qui y siait !
Depuis lors, lentement mais progressivement, l’occupation des 2/3 du territoire s’organise. De nouveaux groupes armés locaux se créent et se renforcent par l’arrivée d’autres groupes terroristes étrangers pour nous rappellent l’absence de l’Etat malien sur cette partie du territoire. Comme les principes qui guident l’organisation et la réorganisation des entreprises multinationales, certains groupes terroristes se regroupent, mutualisent leurs forces. Ainsi, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) voit le jour à Kidal avec un Comité directeur à l’image d’un gouvernement d’un Etat souverain. C’est ainsi, que le directeur de ce comité viola la Constitution du Mali en accordant la grâce à 21 détenus de la maison d’arrêt de Kidal par décision n°0015/2020/Pdt-CMA du 22 mai 2020. L’article 45 de la Constitution de 1992, stipule à son article 45 que « Le Président de la République est le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Il exerce le droit de grâce. Il propose les lois d’amnistie ». A cette violation de notre Loi fondamentale, il n’y pas eu de sanction, mais une simple déclaration ! Comme toujours, l’aristocratie qui dirige le pays a fait appel à la communauté internationale. Cette aristocratie tropicalisée jouit des privilèges du pouvoir, mais laisse les responsabilités qu’il exige à une nébuleuse. Ce comportement de nos aristocrates, nous rappelle tristement la maison des esclaves décrit par M. ZONGO (op cité, p 24) : « La cour des hautes murailles grondait de la révolte des esclaves en quête de liberté. La bataille s’engagea avec le maitre. Il y eut des morts, mais la porte céda. Des esclaves se ruèrent vers la Liberté. Seul resta, dans la cour, un vieil esclave. Il alla refermer la porte de la maison des fuyards puis revint s’asseoir à sa place, se saisit de son tam-tam et se mit à jouer et à chanter. Le maitre loua sa sagesse et son sens de l’amitié et de la fidélité. Et l’esclavage continua parce qu’il restait un esclave. Le maitre resta négrier grâce au nègre ».
Le massacre du village d’Ogossagou le 23 mars 2019, illustre parfaitement que L’Etat, n’est plus la référence collective et n’incarne plus l’intérêt général au Mali. Pire, il n’est plus au service de la Nation, enfin il ne protège plus. Ce massacre que nous pourrions difficilement expliquer aux générations futures, a vu un village malien rayé de la carte de la République du Mali. Ce cas n’est malheureusement pas isolé ; les affrontements intercommunautaires se généralisent au centre du pays.
Pour clore ce sous chapitre sur les faits qui contrarient la République, notons la présence des forces étrangères sur le sol de Modibo KEITA ! La prolifération des milices d’autodéfense des communautés, pour nous dire qu’elles ne comptent plus sur la puissance de l’Etat.
- Et pourtant, il existe un Mali débout
La classe politique par sa gestion calamiteuse depuis 1991 a conduit le Mali à l’échafaud. Mais, est-ce que le peuple acceptera-t-il de donner sa tête ? Le peuple a clairement dit non par la grande mobilisation du 05 juin 2020 sur la place de l’indépendance, tout un symbole. C’est un peuple à l’unissons, qui veut vivre débout et qui s’est exprimé. Désormais le message est clair, le peuple préfère mourir debout que de vivre à genoux. Nous devons plus que jamais, faire de notre devise une réalité : Un Peuple – Un But – Une Foi. Plus que jamais, le But du peuple est l’existence, en une Foi qui n’est autre que le Mali.
C’est un peuple déterminé qui est sorti pour dénoncer des pratiques avilissantes, déshumanisantes que sont l’injustice, la corruption, la mal gouvernance, l’insécurité, entre autres. Par ce geste mémorable, le peuple vient de vomir toutes les tares qui ont entrainé le délabrement moral de la société malienne, l’amenant à accepter de vivre avec l’humiliation. Nous avons appris de l’histoire que, les nations s’écroulent à la suite de l’effondrement des valeurs morales.
Par cette mobilisation qui entrera dans les annales de l’histoire du Mali, le peuple malien a compris qu’aucune autre nation, aucune organisation internationale ne fera son destin à sa place. Nous avons beaucoup appris de notre courte histoire politique de 1960 à nos jours. Nous savons maintenant que seule la lutte nous débarrassera de toutes ces mauvaises pratiques et habitudes qui nous ont conduit à l’effondrement : corruption, népotisme, clientélisme, incivisme, goût de la facilité…. Nous savons maintenant que seule la lutte armée nous permettra de recouvrer les régions du Nord, et non un quelconque accord de paix. Nous savons maintenant que nous ne devrons plus écouter la France sur cette question du Nord, elle qui a refusé la collaboration du Maréchal Pétain pour se libérer par la guerre. Pourquoi pas nous aussi, par une guerre de libération ? Comme tout peuple qui se respecte, nous savons enfin que nous devons avoir l’initiative politique sur toutes les questions concernant la vie de notre Nation, tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur.
Nous répondons aujourd’hui à Ki-ZERBO, que nous sommes debout, pas couché ; que nous vivons débout, pas à genoux. Le peuple vient de le clamer comme un seul homme sur la place de l’indépendance, qu’il existe bel et bien un Mali debout. Par ce geste, le peuple vient de dire qu’aucun sacrifice ne sera de trop pour l’existence de la Nation malienne. Enfin, le peuple vient de comprendre que la vie d’un individu ne compte pas, quand celle de la Nation est menacée. Le peuple est prêt pour la lutte, mais il manque encore le leader. Nous sommes confiants, ce leader émergera très bientôt du peuple. L’histoire de l’humanité nous enseigne qu’un peuple mobilisé a toujours triomphé : la révolution mexicaine avec Zapata, la révolution cubaine avec Castro. La nôtre, elle est en incubation ! Pour la renaissance du Mali, il faut d’abord un réarmement moral de la population, afin qu’elle se redécouvre le sens de l’honneur, de la dignité. Toute Nation forte, puissante, débout, tire sa force de la puissance morale de son peuple. Nous serons un peuple de valeur, ou nous ne serons tout simplement pas un peuple.
Cette lutte aboutira, nous sommes certains, à un Mali nouveau. Ce Mali qui se profile à l’horizon, sera un pays du savoir, du devoir, de l’excellence, du mérite, mais aussi de récompense. La jeunesse doit impérativement sortir du piège de la facilité pour se former, afin de ne pas manquer à l’appel du devoir. Tous les citoyens maliens ; de tous les bords, de toutes les conditions ; doivent jouer leur partition dans la lutte pour l’existence du Mali, menacée par une crise multidimensionnelle. Toutes les énergies, toutes les compétences, qu’elles soient manuelles ou intellectuelles, doivent être mobilisées pour la survie du Mali en tant que Etat, Nation, République.
Pour la réalisation de cet idéal, nous jouerons notre partition. Nous avons été formés pour cogiter, réfléchir, afin de contribuer à la grandeur du Mali par le savoir acquis à l’école de la République. Nous contribuerons par la réflexion et l’action à l’édification d’une Nation forte et prospère sur la terre de nos ancêtres. C’est une mission de génération selon Frantz FANON, à nous de l’accomplir ou de la trahir. Nous sommes volontaires, nous l’accomplirons ; c’est notre raison d’être. Chaque fois que le devoir nous interpelle, nous prendrons la plume, s’il le faut, une plume d’inquisition.
Bamako, le 07 juin 2020
Mamadou SATAO
Environnementaliste