Au Mali : le Président disparu des radars

Ce ne sont peut-être ni les clameurs des marcheurs de Bamako, encore moins les atermoiements d’une opposition désormais incarnée par des leaders religieux qui feront sortir le Président malien Ibrahim Keïta de son long et préoccupant silence. Mais alors que son dernier discours présidentiel remonte au 10 avril dernier, le peuple exige des actions.

Ce ne sont peut-être ni les clameurs des marcheurs de Bamako, encore moins les atermoiements d’une opposition désormais incarnée par des leaders religieux qui feront sortir le Président malien Ibrahim Keïta de son long et préoccupant silence. Mais alors que son dernier discours présidentiel remonte au 10 avril dernier, le peuple exige des actions.

Le Président malien est porté disparu. Plus aucune apparition publique d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) depuis son discours du 10 avril sur l’allègement des mesures dans le cadre du Covid-19. Son silence est de plus en plus préoccupant.
Voilà quelques semaines que les usagers de l’autoroute menant de Sébénicoro (quartier populaire du centre-ville de Bamako, où est logé le Président) à la place de l’Indépendance, puis au palais de Koulouba, ne sont plus agacés par les interminables attentes du passage du cortège présidentiel.

Le Conseil des ministres se tenant chaque mercredi matin est depuis quelques semaines présidé par Boubou Cissé, chef du gouvernement. D’ailleurs, la télévision nationale, qui diffuse habituellement ces Conseils, ne propos plus que d’anciennes images.

«C’est assez étrange que malgré tous ces bruits, il reste si silencieux», s’exclame un journaliste d’une grande radio à Bamako. Des informations persistantes, mais qui n’ont pour l’instant que valeur de rumeur, évoquent tout de même sa probable évacuation pour des pathologies jugées graves.
Si aucun communiqué officiel n’instruit les Maliens sur la situation de leur Président, les proches du locataire de «Koulouba» rivalisent de sobriété dans leurs déclarations.

Étrange silence
Mais où est passé le chef de l’État? «Le Président est à Bamako depuis jeudi» 4 juin, nous répond Bou Touré, suggérant ainsi qu’il était en déplacement avant cette date. Et pourquoi ne dit-il rien depuis près de deux mois, lui qui est d’habitude si prolixe? Aucune déclaration, même après une manifestation inédite, vendredi 5 juin, réclamant sa démission.

«Nous sommes maîtres de notre agenda. Faut pas croire que nous répondrons au coup pour coup», poursuit le chef de cabinet du Président dans un entretien à Sputnik.

Cette séquence laconique d’échanges est révélatrice. Homme puissant, Bou Touré est dépositaire de l’agenda présidentiel. Qui mieux que lui pouvait évoquer le sujet de son absence et de ses éventuels problèmes de santé?

Le bras droit du Président s’est pourtant gardé d’évoquer non seulement la destination de son mentor, mais aussi le motif de ce voyage qui n’aurait pas dépassé sept jours, selon d’autres sources de l’entourage présidentiel. Contactées par Sputnik, celles-ci s’avèrent en revanche contradictoires, affirmant tantôt que le Président s’était rendu aux Émirats arabes unis –et plus particulièrement à Abou Dhabi–, tantôt «à Paris pour des soins médicaux».

Urgence médicale contre demandes sociales récurrentes

Sensibles à la santé d’IBK, les Maliens semblent de plus en plus s’habituer à ses absences pour raisons médicales. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, il a fait l’objet de plusieurs évacuations sanitaires vers l’étranger. Le Président apparaît par ailleurs très affaibli par les soubresauts de la gouvernance et de la vie publique.

«Pourquoi ils nous cachent la vérité? Je ne vois pas l’intérêt de camoufler une question d’intérêt hautement publique. Les revendications sociales, dont l’éducation, doivent pourtant être traitées avec diligence», confie à Sputnik Almoustapha Djitteye, responsable syndical.«Nous l’attendions pour résoudre bien des problèmes sociaux», signale pour sa part à Sputnik Almahady Traoré, syndicaliste des cheminots du Mali, qui invite IBK à sortir d’«un mutisme qui n’a que trop duré». Les problèmes sociaux se matérialisent aux yeux du syndicaliste dans une crise scolaire latente, la faiblesse du dispositif de riposte contre le Covid-19, la pesanteur du terrorisme et l’insécurité, qui reste entière.

Drame évité de justesse

C’est dans ce contexte de frustrations qui pèsent sur la vie publique qu’a été organisée la marche gigantesque du 5 juin. Première revendication, selon le principal organisateur, l’imam Mahmoud Dicko, voir le Président rendre le tablier. L’idée était de camper boulevard de l’Indépendance, principale artère de la capitale, jusqu’à l’obtention de cette démission. Ce mot d’ordre réitéré par l’imam lors de son allocution a donné lieu à des scènes de débordements inattendues.

En effet, aussitôt après le discours de l’imam, une partie des manifestants s’est dirigée vers le domicile du Président de la République, occasionnant une altercation musclée avec les éléments de la Garde présidentielle. Le bilan officiel, mentionné dans le communiqué du gouvernement condamnant ces débordements, fait état de 19 blessés du côté des manifestants et 15 du côté des forces de sécurité. «Le logement du Président aurait pu être atteint si les éléments de la Garde présidentielle n’avaient pas opposé une riposte vigoureuse», témoigne à Sputnik Moumouni Traoré, un voisin de quartier d’IBK.Mais Mahmoud Dicko n’est pas le seul leader religieux à flageller la gouvernance d’IBK. Le très populaire prêcheur Bandiougou Doumbia avait fait les frais d’une vidéo acerbe sur «la gestion discriminatoire et favoritiste du Président et de son clan». Ses invectives lui ont en effet valu une condamnation à deux ans de prison. Il a toutefois été libéré en mai dernier, au bout de trois mois de détention. 

Depuis 2012, le Mali vit une crise multiforme, sécuritaire, politique et économique. Les assauts indépendantistes et maintenant djihadistes menés par les groupes liés à Al-Qaïda* et à l’organisation État islamique*, ainsi que les violences intercommunautaires ont fait des milliers de morts et de déplacés.

*Organisations terroristes interdites en Russie.

Source: fr.sputniknews.com/afrique/

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