Crise sociopolitique au Mali : La proposition N° 10 de la Cedeao : entre nécessité et impossibilité

Bocar Sambaïda CISSE, Juriste Consultant a donné son point de vue sur la crise socio politique au Mali. Selon sa vision, la vision N°10 de la CEDEAO se classe entre une nécessité et impossibilité.

Compte tenu de la dégradation de la situation socio-politico-sécuritaire, M. Bocar Sambaïda Cissé, Juriste Consultant a tenu à indiquer que la place de choix qu’occupe la CEDEAO dans les différents processus de résolution des crises politiques dans son espace ne fait l’objet d’aucun doute, si nous la jugeons par les faits. L’organisation supranationale exerce avec un leadership incontestable la culture de la paix et de la démocratie, même si, quelques fois, elle est contestée dans sa démarche.
À l’issue de sa mission du 18 au 20 juin 2020 au Mali en vue de trouver une solution de sortie de crise, la CEDEAO, après avoir écouté les parties en conflit, a fait des propositions parmi lesquelles, celle relative à l’organisation d’élections législatives partielles : « La Mission note que l’Arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle dans le cadre du contentieux des dernières élections législatives est à la base de la crispation socio –politique actuelle ». Elle invite donc le Gouvernement de la République du Mali à reconsidérer les résultats de toutes les circonscriptions ayant fait l’objet de révision par l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle. « De nouvelles élections partielles pour les circonscriptions concernées devraient être organisées dans les meilleurs délais ».
Cette dixième proposition qui consacre l’organisation de nouvelles élections partielles pour les circonscriptions concernées semble à priori acceptable, équitable et facile. Mais sa mise en œuvre suscite des interrogations qui méritent des réponses.
L’absence d’un fondement juridique : Il est d’une évidence régulière que la constitution du 25 février 1992 ne prévoit pas une telle hypothèse à fortiori d’en prévoir des élections partielles comme solution. La solution d’élections partielles sera aussi confrontée à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle. Cet arrêt non susceptible de recours devenu définitif est aussi celui par lequel la 6e législature tient sa légalité dans son ensemble.
Comment remettre en cause un arrêt définitif et de surcroît, venant d’une juridiction qui n’admet pas l’exercice des voies de recours classiques ?
Pourquoi les députés contestés, mais confirmés par cet arrêt vont-ils accepter de démissionner ?
Les députés ne sont-ils pas tous consacrés par la même décision de la Cour Constitutionnelle ?
Les contestations sont-elles véritablement toutes fondées ?
La sagesse commanderait tout au moins, un examen minutieux des dossiers litigieux et l’hypothèse de nouvelles élections ne seraient envisageables que lorsqu’à l’issue de cet examen. Il est avéré que la Cour Constitutionnelle n’a pas bien tranché. L’autre question est de savoir qui fera cet examen et sur la base de quel texte ?
En d’autres termes, la Cedeao devrait nous expliquer le schéma légal permettant de remettre en cause ou d’annuler l’arrêt de la Cour Constitutionnelle étant entendu que cette remise en cause frapperait l’ensemble des députés de la 6e législature.
La problématique de la Cour Constitutionnelle : Les élections législatives de mars 2020 resteront certainement dans les annales de l’histoire du Mali. En plus d’être à l’origine de cette crise inédite, elles ont divisé les députés et mis sérieusement en doute l’intégrité du juge constitutionnel. Ce dernier n’a plus la confiance du peuple dans sa composition actuelle, d’où l’intéressante question de savoir s’il faut renouveler les membres de la Cour Constitutionnelle pour les élections partielles proposées ou si les mêmes membres animeront cette Cour pendant les élections partielles. Puisque les mandats des Conseillers sont toujours en cours, comment les écarter et être dans la légalité ou faut-il encore les faire confiance ? Des doutes subsistent dans cette dernière hypothèse. Des rumeurs de démission de certains Conseillers de la Cour circulent ; s’ils venaient à démissionner tous, comment les remplacer conformément à la procédure prévue à cet effet, notamment les trois sages qui devront être nommés par le Président de l’Assemblée Nationale (article 91 constitution du 25 février 1992) ?
À ce sujet, il convient de noter que le Président de l’Assemblée Nationale figure parmi les députés contestés. Cet aspect complique encore la mise en œuvre de la proposition 10 de la Cedeao parce qu’il faudra se pencher également sur la validité des actes qu’il a déjà posés en qualité de président de l’Assemblée Nationale.
Si nous sommes tous d’accord qu’une démission sous la contrainte n’est pas une démission, la question relative au remplacement des conseillers de la Cour Constitutionnelle n’est possible que dans un cadre amiable. Or, il est important, voire indispensable, de rester dans la stricte légalité quand il s’agit du fonctionnement des institutions dans un État démocratique. En tout état de cause, rappelons tout de même qu’aucune preuve établissant une faute de la Cour Constitutionnelle n’existe à ce jour. Il y a certes, des réclamations, des rumeurs et des contestations, mais il est nécessaire d’aller au fond des dossiers pour prouver une quelconque faute du juge constitutionnelle.
Les facteurs coût, délai, insécurité : Ces facteurs sont importants. Le coût des élections est une question fondamentale tant pour l’État que pour les candidats et les partis politiques. Les délais viennent durcir la procédure d’organisation, notamment, celui qui s’impose entre les deux tours. L’insécurité qui s’installe continuellement est également un facteur qui défavorise l’organisation d’élections libres avec des résultats fiables. Au niveau de la durée des mandats des députés, il y aura un décalage. Certains députés termineront leur mandat de cinq ans avant d’autres. Il faudra également analyser l’incidence sur les lois déjà adoptées par des députés qualifiés de fait et j’en passe.
Les questions liées à l’ouverture de nouvelles candidatures et l’hypothèse d’une nouvelle contestation : Les élections partielles dans les circonscriptions concernées n’opposeront certainement pas les seuls protagonistes actuels. C’est une reprise des élections qui sous-entend que les précédentes sont nulles et de nul effet dans les circonscriptions concernées. La convocation du collage électoral se présentera comme un nouvel appel à candidatures avec de nouvelles listes. Ces listes pourront même prendre de nouvelles configurations. À titre d’exemple, en commune V du District de Bamako, le RPM pourra s’allier avec l’ancien adversaire qui contestait sa victoire. Même si de telles pratiques ne sont pas interdites, elles ne riment pas avec la morale sociale et peuvent provoquer d’autres crises.
L’hypothèse qui appelle à plus de prudence serait de se retrouver dans une nouvelle situation de contestation.
Dans ce cas, va-t-on réorganiser des élections partielles (bis) pour les perdants qui sont en droit de contester eux aussi ?
Rien que pour cette raison, la proposition de la Cedeao semble problématique et mérite d’être améliorée pour apporter la paix et la cohésion sociale au Mali.

En conclusion : l’organisation d’élections partielles cache des difficultés juridiques certaines et est dépourvue de tout fondement juridique. La solution ne peut venir que d’un compromis politique d’une grande envergure. À défaut, une dissolution pure et simple de l’Assemblée Nationale l’emporterait en termes de solutions.
Certes, cette crise mérite une solution dans l’urgence. Mais elle restera comme une épée de Damoclès qui plane sur le Mali tant que n’interviendront pas les réformes institutionnelles d’ores et déjà devenues indispensables. Aucune autre élection politique ne devrait être envisagée avant la correction des dysfonctionnements constatés au risque de revivre les expériences.
Aïssétou Cissé

Source : Le Combat

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