Mali: «IBK apparaît comme le symbole de l’échec de l’État malien»

Au Mali, le M5 a finalement choisi d’annuler le rassemblement auquel il avait appelé pour ce vendredi 17 juillet. Le mouvement, qui depuis plusieurs semaines réclame dans la rue la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta, renonce après plusieurs interventions, dont celle du chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara. Il faut dire que le week-end dernier, les manifestations avaient tourné à l’émeute à Bamako : au moins 11 morts, plus de 150 blessés, des leaders de la contestation arrêtés puis relâchés cette semaine. Depuis les résultats contestés des élections législatives de mars-avril, les tensions ne cessent de s’intensifier. Une mission de médiation de la Cédéao est arrivée ce mercredi 15 juillet. Ibrahim Maïga, chercheur à l’ISS, l’Institut d’études de sécurité, basé à Bamako, est l’invité de Carine Frenk.

RFI : Avez-vous été surpris par les violences de cette semaine ?

Ibrahim Maïga : Tout cela semblait quelque part un petit peu prévisible. Lors des manifestations pacifiques du 5 et du 19 juin, certains des manifestants avaient déjà exprimé le souhait de se rendre à Koulouba, où est situé le palais présidentiel, pour réclamer la démission du président IBK. Et dans un contexte où on n’est pas parvenu à un accord entre le M5, qui est le mouvement de contestation, et IBK à la veille de leur manifestation du 10 juillet, tout cela semblait quasi inévitable.

On parle d’une crise post-électorale, mais cela va bien au-delà. Le malaise est si profond ?

Le malaise est profond et cette contestation s’inscrit dans une vague de manifestations et de contestations contre le pouvoir en place. Il ne faut pas oublier les manifestations et les grèves des enseignants, des magistrats, les manifestations contre les massacres dans le centre du Mali. Donc cette mobilisation s’inscrit dans ce cadre beaucoup plus large et repose sur un fond de mécontentement lié à la dégradation de la situation sécuritaire, mais aussi à la gestion approximative de la crise sanitaire.

Cela veut dire que le président IBK cristallise les rancœurs et les frustrations ?

Oui. IBK apparaît aujourd’hui aux yeux de ces manifestants comme le symbole de l’échec de l’Etat malien et de ses institutions, non seulement à gagner du terrain sur le plan sécuritaire, donc à faire reculer l’insécurité, mais aussi à améliorer les conditions de vie des populations et à lutter contre la corruption.

Le chef de l’Etat semble acculé. Commet-il des erreurs politiques ? Prend-il des décisions trop tardivement, à vos yeux ?

La stratégie du président IBK est une stratégie graduelle qui n’a pour l’instant pas permis de calmer la colère des manifestants, et elle a parfois même radicalisé une frange du mouvement. IBK a peut-être commis l’erreur de sous-estimer la colère dans le pays. Il a vu dans le M5-RFP [Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques], ce mouvement de contestation, essentiellement des anciens alliés revanchards et des opposants déçus d’avoir perdu la présidentielle de 2018. Il a donc pris des décisions tardives. Il aurait pu par exemple proposer un Premier ministre de consensus, pousser à la démission de certains membres de la Cour constitutionnelle, proposer éventuellement la dissolution de l’Assemblée nationale.

Et justement, pourquoi le président IBK refuse-t-il de dissoudre l’Assemblée ?

La dissolution de l’Assemblée est une carte qui reste entre les mains du président de la République. Mais pour l’instant, il refuse de la dissoudre, parce qu’il risque aussi de perdre sa majorité au sein de cette Assemblée. S’il perd l’Assemblée nationale, il est exposé politiquement et donc, il va se retrouver isolé sur le plan de la politique malienne.

Le leader de la contestation, l’imam Mahmoud Dicko, appelle au calme. Que veut-il, selon vous ?

L’imam Dicko cherche à jouer un rôle d’autorité morale dans le pays. Il souhaite avoir bien entendu son mot à dire sur toutes les réformes majeures en termes de gouvernance du pays. Il souhaite être consulté aussi pour les grandes décisions de la nation, sans nécessairement que lui-même descende dans l’arène politique.

Mais le Premier ministre Boubou Cissé s’est déplacé chez lui dans la nuit du 13 juillet, il a un rôle politique ?

Il a un rôle politique, mais pas nécessairement celui que les gens veulent lui donner. Pour l’instant, il ne souhaite pas briguer un mandat électif parce qu’il risque de perdre son image d’homme consensuel. Et pour l’instant, il préfère prendre ses distances tout en téléguidant les décisions et les actions des mouvements comme le M5, dont la CMAS qui est la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Dicko fait partie et est un acteur majeur de ce mouvement de contestation.

Le M5 est très hétérogène. Est-ce que ce mouvement peut s’inscrire dans l’avenir ?

Ce mouvement a les faiblesses de ses forces. C’est un mouvement hétéroclite, comme vous l’avez dit « hétérogène », qui lui permet d’être à certains égards représentatif de la société malienne, mais aussi sa principale faiblesse. Les leaders, les dirigeants et les meneurs de cette contestation ne se retrouvent que sur la seule et unique revendication qui est la démission du président IBK. Donc il est très difficile d’envisager un mouvement unifié au-delà de la crise actuelle.

Dans le contexte sécuritaire que l’on connait, y a-t-il véritablement un risque de vide institutionnel ?

C’est un risque qui trotte dans la tête de beaucoup de gens. Tout le monde se rappelle de 2012 et du court vide institutionnel et constitutionnel auquel le pays a été confronté et qui a favorisé la perte et l’occupation des trois régions du nord du Mali : Gao-Tombouctou-Kidal. Donc, tout le monde a cela dans un coin de la tête et évidemment, c’est ce qui explique en partie la mobilisation des acteurs internationaux pour éviter que ce scénario n’advienne.

Que peut-on attendre de la mission de la Communauté économiques des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ?

La mission de la Cédéao est importante pour donner une chance à la négociation à une solution de sortie de crise négociée et consensuelle. Mais pour cela, il faudrait que les parties acceptent de faire de grandes concessions. Le président pourrait par exemple procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale et nommer un nouveau Premier ministre consensuel. De l’autre côté, le Mouvement du 5 juin pourrait renoncer à la revendication principale qui est la démission du président de la République.

Est-ce que cette crise vous parait irréversible ?

« Irréversible », peut-être pas. Personne à l’intérieur ni à l’extérieur du Mali ne souhaite un saut dans l’inconnu. Evidemment, les antagonismes sont profonds, la situation est très difficile, mais une solution négociée est encore possible.

Source: RFI 

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