Enquête sur la corruption : Quelle place et rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption au Mali ?

Le 31 octobre 2003, l’assemblée générale de l’ONU  a adopté la convention des Nations Unies contre la corruption. Le 9 décembre a  été déclaré journée Internationale de lutte contre la corruption. 

Pour  l’édition de 2020, le thème retenu ‘’Rétablir l’intégrité, adapter la lutte contre la corruption ‘’.Si la corruption est aujourd’hui un mal insidieux dont les effets sont aussi multiples que délétères. Elle sape les principes de la Démocratie et de l’Etat de Droit, entraine des Violations des Droits de l’Homme, fausse le jeu des marchés, nuit à la qualité de la vie et crée un terrain propice à la criminalité organisée, au terrorisme et à d’autres phénomènes comme l’énonce le préambule de la Convention de l’Union Africaine, les États Membres sont préoccupés par « les effets négatifs de la corruption et de l’impunité sur la stabilité politique, économique, sociale et culturelle des États africains et ses effets dévastateurs sur le développement économique et social des peuples africains ». A cet égard, il urge la mobilisation de tous pour débarrasser le Mali du fléau de la corruption.

C’est ainsi que nous avons cherché à savoir quelle peut être la  place et rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption au Mali.  Pour le Président de la Coalition des Organisations de la Société Civile pour la Lutte contre la Corruption et la Pauvreté (COSCLCCP), M Souleymane Dembélé,  la société civile peut être définie comme « un mouvement organisé de citoyens engagés et bénéficiant de la légitimité de représentation, de la population en général et ou d’un groupe social en particulier, assurant à ce titre et dans ce cadre un rôle de proposition et de veille sur la qualité des politiques publiques, la qualité de la gouvernance publique et celle du processus de création et de répartition des ressources dans une formation sociale .La société civile occupe une place déterminante dans le suivi des actions gouvernementales, et fournit des connaissances essentielles pour la conduite des processus décisionnels publics »

En tant qu’acteur indépendant représentant les intérêts du public, la société civile surveille les actions du gouvernement, des services publics et des entreprises privées. Les organisations de la société civile (OSC) sont idéalement placées pour détecter, enquêter et informer l’opinion publique sur les cas de corruption, tout en agissant comme les porte-paroles de cette opinion publique. La société civile peut également s’associer et soutenir les efforts de prévention de la corruption à travers des campagnes de sensibilisation, en apportant son expertise sur les réformes juridiques et politiques et en appuyant la mise en œuvre des instruments de lutte contre la corruption. Pour que la société civile joue un rôle dans la promotion de l’intégrité et la prévention de la corruption, un environnement propice garantissant la liberté d’association et la liberté d’expression est essentiel. Il existe une corrélation positive entre prise de parole et responsabilité d’une part, et contrôle de la corruption d’autre part. Les organisations de la société civile doivent se doter des ressources et des capacités  nécessaires pour mettre en œuvre leur mandat. Nous explique M Souleymane Dembélé.

Par ailleurs, les OSC elles-mêmes doivent respecter les normes de transparence et de responsabilité afin de faire partie de la solution, et non du problème. Les gouvernements, de leur côté, doivent reconnaître le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption, et instaurer des politiques pour lui permettre de participer activement au cycle d’élaboration des politiques. Afin d’impliquer la société civile dans la lutte contre la corruption, les gouvernements doivent agir conformément aux principes spécifiques favorisant une participation effective. Les Principes Directeurs de l’OCDE (Participation des OSC dans l’élaboration des politiques publiques de lutte contre la corruption, la transparence et la responsabilisation de la société civile) pour une élaboration ouverte et inclusive des politiques publiques font office de guide pour une consultation réussie de la société civile.

En tant que représentants de l’intérêt public, les acteurs de la société civile peuvent jouer également un rôle clé dans la prévention et la lutte contre la corruption. Leur rôle peut englober la sensibilisation à la corruption, la recherche et les études, ainsi que les diagnostics sur l’apparition de la corruption en général ou dans des secteurs spécifiques. Ils peuvent se muer en porte-paroles des citoyens, relayer leurs demandes ou recevoir des rapports de mauvaise conduite et de corruption. En tant que surveillant de l’action gouvernementale, la société civile renforce la transparence et évalue la mise en œuvre et la qualité des politiques et des lois, tout en préconisant des changements qui améliorent leur efficacité et leur permet d’être en conformité avec les meilleures pratiques.

Ajout ’il le président de la  COSCLCCP), M Souleymane Dembélé,  la République du Mali, depuis son indépendance en 1960 jusqu’à nos jours présente des défis de développement politique, économique, social et culturel. Des défis auxquels, les différents régimes successifs ont tenté d’apporter des réponses adéquates afin de répondre aux préoccupations de développement du peuple. A cet effet, la corruption demeure une des grandes préoccupations qui affecte sa croissance et son développement car il ralentit les efforts de développement. Il empêche l’utilisation à bon échéant des ressources destinées à l’amélioration des conditions de vie des populations. Plusieurs rapports montrent l’Etat de gravité du phénomène. Comme exemple, les différents rapports du vérificateur depuis sa mise en place montrent que sur la période 2004 à 2010, le Bureau Vérificateur Général (BVG) a effectué 117 vérifications financières qui ont mis en lumière plus de 383 milliards de FCFA de manque à gagner pour le Trésor Public et les entités vérifiées. En 2011, 10,10 milliards de F CFA et en 2015, des déperditions financières qui se chiffrent à 70,10 milliards de FCFA dont 32,67 milliards de FCFA en fraude et 37,43 milliards de FCFA en mauvaise gestion. Ces montants détournés constituent des manques à gagner qui peuvent améliorer les conditions de vie des populations en termes d’accès à l’eau, de santé, d’éducation à travers l’accès des populations aux infrastructures scolaires, de construction de routes et d’autres. Face à un tel problème, le Mali a pris de nombreux engagements internationaux en matière de lutte contre la corruption, la transparence et la participation citoyenne dans la gestion des affaires publiques. En 2008, il a été organisé les Etats Généraux sur la corruption assortis d’un plan d’action actualisé sur la période 2014-2018. De plus, l’année 2014 a été proclamée comme une année de lutte contre la corruption pour traduire l’engagement de l’Etat dans la lutte contre la corruption au Mali.

Cependant, malgré tous ces efforts le problème demeure, mais les engagements pris par le Mali sont des étapes décisives qui ont mis la problématique au cœur de l’action publique. La corruption est préjudiciable au développement économique, politique et social. Elle fausse la concurrence sur le marché, affaiblit la productivité et empêche finalement une croissance économique durable. La corruption touche aussi bien les pays riches et développés que les pays pauvres et en développement, quoique sous des formes différentes et avec une ampleur variable. La corruption frappe sans aucune commune mesure les pauvres et entrave les efforts visant à atteindre les ODD. La situation est d’autant plus sérieuse en Afrique de l’Ouest et du Centre où les problèmes de corruption sont aggravés par des institutions étatiques fragiles incapables de déceler et poursuivre les faits de corruption.

Aussi, à l’instar de nombreux pays en développement, les lois anti-corruption en vigueur et les institutions de lutte contre la corruption en place dans la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre manquent de capacités financières, techniques et institutionnelles, ce qui se traduit par un décalage entre le discours des gouvernements contre la corruption et les réalités auxquelles font face les populations. Cette situation est imputable à plusieurs acteurs d’abord à l’interne (États, organisations de la société civile, citoyens, secteur privé), ensuite externe (bailleurs de fonds, organisations régionales d’intégration) qui n’arrivent pas assumer leur rôle et place dans la production, surveillance, évaluation des dispositifs de lutte contre la corruption souvent mis en place.

En somme, l’amélioration de la bonne gouvernance doit venir de l’intérieur et être appropriée par le pays concerné et ses citoyens. Les organisations de la société civile (OSC) ont donc un rôle clé à jouer (comme mentionné plus loin) : elles doivent participer, légitimer et entériner la politique et l’action gouvernementale. Elles doivent également jouer un rôle de vigile des comportements des régimes, des organismes publics et de la société civile elle-même, tout en collaborant à l’effort national de développement.

Bokoum Abdoul Momini

Source: Maliweb.net

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