L’ARGENT DU DÉPUTÉ

1.500.000 F CFA, voilà ce que gagnera mensuellement un Conseiller national de la transition (CNT) pendant les 18 mois de la transition. L’information a été donnée par un membre du CNT. Et pour l’une des rares fois, le Malien apprend avec précision le salaire de son « représentant ». Le conseil national de la transition est l’organe « législatif » de la Transition, censé représenter et défendre les intérêts des citoyens ; contrôler, dans ce cas-ci, la mise en œuvre des actions inscrites dans la feuille de route de la transition ; et légiférer. Sur le sujet, des questions demeurent quant à sa légalité et sa légitimité. Seulement, pendant une transition où de grandes réformes sont attendues, un organe législatif est quand même indispensable. Le degré de représentativité de celles et ceux qui animent nos institutions, n’est pas une question nouvelle même si elle demeure essentielle pour la survie de notre démocratie. Toutefois, ce qui devrait importer, est la pertinence des réformes et leur mise en œuvre. Autre question majeure, le montant de 1.500.000 F CFA sera-t-il revu à la hausse ou à la baisse ? Existera-t-il un fonds de souveraineté (la fameuse caisse noire antidémocratique) pour le Président du CNT comme c’est déjà le cas pour les chefs des plus hautes institutions ? Et si, dans un élan de refondation et dans un devoir de moralisation de la vie politique, le voile se levait sur l’argent du député.

Devoir de transparence

La transparence n’est plus une option, elle devient une exigence qui s’impose à celles et ceux qui sont payés avec l’argent du contribuable. Dans son 11e numéro – enquête réalisée en novembre 2019 -, le Mali – Mètre, une enquête annuelle de Friedrich-Ebert-Stiftung Mali sur « Ce que pensent les Maliens ? » de leurs gouvernants et institutions, il ressort que « 74 % des citoyen (ne)s ne sont pas satisfaits des actions des députés » et que « la grande majorité (71,5 %) de la population pense que les députés ne font que valider les décisions du gouvernement. » Tel est le reflet de la crise de la représentativité qui décrédibilise les institutions et fragilise le système démocratique. Les critiques peuvent se résumer ainsi, « les députés ne jouent pas leur rôle », pis, « des députés ne connaissent pas leur rôle ».

Dans « l’argent et la politique malienne : l’arroseur arrosé », Moussa Mara, qui met au cœur de son action politique, la question de la moralisation de la vie politique, et après avoir alerté sur le risque de porter à la tête de notre Etat « un trafiquant de drogues », rappelle la décadence politique qui précipite notre pays vers son effondrement, « Ils ont ramené la politique à la simple loi de l’offre et de la demande, là où ils se sont estimés les plus forts, pensant garder le pouvoir aussi longtemps qu’ils le voudraient. Préférant acquérir les positions grâce à l’argent ! (…) Ils ont escamoté le débat, les idéologies, les projets et visions au point de ne plus accepter les traditionnels débats de second tour à l’élection présidentielle (2002, 2013 et 2018). »

L’Institut néerlandais pour la démocratie multipartite (NIMD) a publié une étude sur « Le coût financier des campagnes électorales et des mandats électifs », qui démontre l’ampleur des dérives financières pendant les campagnes électorales. Des pratiques pourtant interdites par la Loi électorale -dont les textes malgré leur insuffisance soulignée, ont tout de même besoin d’être rigoureusement appliqués. Du choix du candidat au sein du parti politique, à la campagne électorale jusqu’à l’exercice du mandat, seule la capacité financière du candidat et/ou de l’élu compte. En moyenne, l’étude informe qu’il faut plus de 36 millions pour prétendre à un poste électif dont 80% du montant, est assuré par le candidat lui-même. Ce qui nous donne déjà une idée sur les priorités du député une fois à l’Assemblée nationale.

Ce que gagne le député malien

Difficile de le dire avec certitude pour un citoyen malien. Une certaine opacité entoure la gestion du budget de l’Assemblée nationale. Cette institution ne serait soumise qu’à ses propres règles qu’elle édicte elle-même et qu’elle doit s’appliquer à elle-même. Dans le meilleur des mondes, c’est l’idéal. Tant l’Assemblée, dans l’esprit des textes, reflète la diversité et la pluralité de la société, incarne les valeurs démocratiques et garantit la séparation des pouvoirs.

L’ancien député de la Commune IV, Moussa Mara qui faisait don, ainsi qu’un autre député de son parti, de ses indemnités parlementaires, révèle que celles-ci s’élèvent à 1.500.000 F CFA. Le salaire fait-il partie ? Quels avantages matériels et/ou en nature, les indemnités couvrent-elles ? A combien s’élève le montant d’un jour de session ? Dit autrement, quelle est la rémunération exacte d’un député sans autre responsabilité particulière ? Des informations, souvent fausses, circulent et méritent d’engager des enquêtes approfondies pour exiger la transparence chez ceux qui doivent l’imposer ailleurs.

D’ailleurs, un député malien est allé jusqu’à affirmer, justifiant et cautionnant le rôle pervers que l’argent joue dans l’accès aux postes électifs, qu’un mandat peut apporter 600 millions de F CFA, de quoi alimenter davantage le débat sur la rémunération du député. Quid de ces fonds souverains, de ces caisses noires qui minent la confiance entre citoyens et élus ?

L’argent public est l’argent du citoyen. Et cela doit se refléter dans son rapport au bien public. Qu’il paie des taxes -il devra- ou pas, il est de son devoir de s’informer sur l’usage qui en est fait. Le citoyen informé et formé est le pilier de la démocratie. La gouvernance repose sur ses épaules et son degré de participation à la vie politique. La démocratie a fortement besoin d’encadrement citoyen qui aboutira à un encadrement moral et juridique des pratiques politiques qui font de la refondation de la gouvernance, une urgence.

Elias Ahmed Zoubir

Banou actu

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