Angela Merkel, une fille de l’Est devenue la femme politique la plus puissante du monde

Angela Merkel est demeurée dix-huit ans à la tête de la CDU, le parti chrétien-démocrate, soit sept ans de moins qu’Helmut Kohl mais plus que son fondateur, Konrad Adenauer. Elle détient aussi, à égalité avec Helmut Kohl cette fois, un record de longévité à la tête de l’Allemagne comme chancelière, après quatre législatures et seize ans de gestion ininterrompue. Portrait.

Cette marque dans l’histoire politique allemande est plus impressionnante encore si on la compare à celles des autres chefs d’État des principales puissances économiques mondiales – du moins pour celles et ceux qui ont été démocratiquement élus. Pragmatique, austère ou insaisissable, pour reprendre les qualificatifs qui lui sont le plus souvent attachés, Angela Merkel a passé sa carrière politique à surprendre, tout en donnant à son peuple l’image d’une profonde stabilité. Ce paradoxe explique peut-être qu’elle soit parvenue à retrouver, fin 2020, des records de popularité malgré la crise du Covid. Celle qui apparaissait comme une libérale de droite a su parfois se concilier les écologistes et le centre-gauche, jusqu’à s’attirer le titre, tantôt élogieux tantôt critique, d’« excellente sociale-démocrate ».
Une jeunesse est-allemande
Rien ne prédisposait, en effet, la jeune Angela Kasner – Merkel est le nom de son premier mari – à prendre la tête d’une formation de centre-droit héritière du Zentrum, un parti d’obédience catholique. Née à Hambourg 1954, elle est la fille aînée d’un père pasteur sympathisant communiste qui, quelques semaines plus tard, prend en charge une petite paroisse près de la ligne de démarcation entre les deux Allemagnes, mais du côté Est cette fois. Pour fuir la répression du régime qui s’est manifestée par un bain de sang, l’année précédente, 2,7 millions d’Allemands prennent à la même époque le chemin inverse : ils passent à l’Ouest tant qu’il en est encore temps.
Pour autant, l’enfance d’Angela Kasner échappe en partie au carcan de la République démocratique allemande (RDA). Dans le domaine du Waldhof, où son père dirige depuis 1957 le séminaire chargé de former les clercs du Brandebourg et de Berlin, on a accès à la télévision de l’Ouest et on en reçoit aussi des colis. L’établissement accueille des handicapés mentaux et le principal apprentissage qu’on peut y faire est celui d’une certaine marginalité assumée.
Angela Kasner a d’excellents résultats scolaires et ses parents décident de l’inscrire dans les organisations de jeunesse communiste, un passé qui la poursuivra longtemps. Néanmoins, à l’université, elle choisit les sciences dures pour ne pas avoir à frayer avec l’idéologie. Ce n’est que quelques jours après la chute du Mur qu’elle se met en quête d’un engagement politique réel. Et en rupture complète avec sa tradition familiale, alors que son père rejoint le Nouveau Forum, sa mère les sociaux-démocrates du SPD et son frère les Verts, elle choisit le Renouveau démocratique, éphémère parti de centre-droit dont elle devient la porte-parole. Le parti fusionne avec la CDU Est-Allemande victorieuse aux élections en 1990, avant que cette dernière formation ne se fonde dans son équivalent Ouest-Allemand lors de la réunification.
Une ascension politique fulgurante

Dans le dernier gouvernement de la RDA, dirigé par Lothar de Maizière, elle devient porte-parole adjointe. Élue députée la même année, elle est ministre fédérale des Femmes et de la Jeunesse dès la réunification en 1991. Trois ans plus tard, elle est ministre fédérale de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire. En 1998, Helmut Kohl perd les élections. Le pouvoir passe aux sociaux-démocrates et la présidence de la CDU à Wolfgang Schäuble qui choisit Angela Merkel comme secrétaire générale. Cette dernière prend ses distances avec ses deux mentors lorsque, l’année suivante, ils sont compromis dans un scandale de financement illégal du parti.
« Das Mädchen » (« La gamine »), comme la surnommait Helmut Kohl – atteint, à 44 ans, un niveau de responsabilité qu’aucune femme avant elle n’a eu dans la CDU. Elle en devient la présidente en 2000 – un poste qu’elle conserve jusqu’en 2018 –, mais cède sa place de candidate pour les élections de 2002 à Edmund Stoiber. Ce dernier est battu et Angela Merkel prend la tête de l’opposition. En 2005, les élections législatives anticipées l’amènent au sommet du pouvoir, au sein d’une alliance atypique, rassemblant les démocrates-chrétiens et leurs adversaires socialistes.

Schröder s’efface, Merkel s’impose
Il faut cinq semaines d’âpres négociations pour que le social-démocrate Gerhard Schröder l’accepte à la tête de la grande coalition, alors que les socialistes font presque jeu égal avec les démocrates-chrétiens. À 51 ans, le 22 novembre 2005, Angela Merkel devient la plus jeune chancelière d’Allemagne – et aussi la première femme à occuper ce poste. Le lendemain, sa première visite officielle est pour la France et son président Jacques Chirac. Son premier invité est le nouveau président de la Namibie – ancienne colonie allemande –, Hifikepunye Pohamba.
La deuxième personne la plus puissante du monde en 2012
Dès son premier mandat, Angela Merkel montre une identité politique complexe par-delà son attachement indéniable au libéralisme économique. Cette option lui sourit d’ailleurs, du moins jusqu’à la crise économique de 2008, lui permettant d’atteindre ses deux objectifs : relance de l’économie allemande et baisse du chômage. Pour autant, les inégalités se creusent et le chômage de longue durée reste à des niveaux élevés. Parallèlement, elle n’hésite pas à faire pression sur le partenaire chinois pour le respect des règles internationales concernant le dérèglement climatique et joint le geste à la parole concernant le respect des droits humains, en étant la première chancelière à inviter le Dalaï Lama.
Elle affirme son intérêt pour l’Europe centrale et pour l’élargissement d’une Union européenne dont l’Allemagne deviendrait le centre de gravité. En 2009, son deuxième mandat s’ouvre sous le signe d’une nouvelle coalition avec la droite des Libéraux – elle est la première chancelière depuis Konrad Adenauer à avoir dirigé deux coalitions différentes. Ses positions sur l’immigration et l’échec du « modèle multiculturel allemand » comme sa défense du nucléaire en 2010 la placent résolument à droite. Après la catastrophe de Fukushima cependant, elle approuve la fermeture des centrales pour 2022, preuve s’il en est de sa capacité à surprendre et à évoluer.
L’Allemagne sort renforcée de la crise économique, se changeant pour un temps en gendarme financier de l’Europe. L’intransigeance d’Angela Merkel à l’égard de la crise grecque lui donne dans le sud de l’Europe une image d’arrogance qui contraste avec sa popularité en Allemagne, son mode de vie discret et sa capacité reconnue à faire des compromis dans la gestion des dossiers. En 2012, le magazine Forbes la considère comme la deuxième personne la plus puissante au monde après Barack Obama. L’année suivante, elle revient pour un troisième mandat de nouveau en coalition avec les sociaux-démocrates.
Une usure du pouvoir toute relative

« Wir schaffen das » (« Nous allons y arriver »), affirme Angela Merkel le 31 août 2015, comme en écho au « Yes, we can » de la campagne de Barack Obama. En pleine crise européenne de l’accueil des migrants, elle vient de prendre unilatéralement la décision d’ouvrir les frontières, notamment aux demandeurs d’asile syriens. La parenthèse est de courte durée, et elle la paie d’une baisse momentanée de popularité. Entre-temps, l’Allemagne a accueilli dans le courant de l’année 1,1 million de réfugiés, un nombre sans commune mesure avec aucun autre pays européen.
Dans cette décision, entre bien sûr de la realpolitik : l’Allemagne est un pays à la natalité en berne et essaie d’attirer les personnes les plus qualifiées. Mais ce sont des considérations qui vaudraient dans d’autres pays d’Europe où les choix ont été parfaitement opposés. Certains ont pu voir aussi dans cette décision le souvenir ému d’une jeunesse Est-allemande, un sursaut de morale chrétienne et une certaine cohérence idéologique libérale, qui suppose d’accorder à l’autre la possibilité d’entreprendre et de refaire sa vie. À la toute fin de son troisième mandat, elle précipite le débat sur le mariage pour tous. Approuvée à une large majorité – Angela Merkel a voté contre, tout en se disant pour l’adoption par des couples homosexuels –, cette loi passée avant les élections prive les partis de gauche d’un de leurs thèmes de campagne. Sur les questions de mœurs, et notamment sur la pénalisation de l’incitation à l’avortement, elle oscille entre conservatisme et résignation.

En septembre 2017, le parti d’Angela Merkel continue à faire la course en tête, mais avec un score malgré tout historiquement bas. La question migratoire a fait monter l’extrême droite, mais sans comparaison avec les sommets atteints en France, par exemple, à l’élection présidentielle. Elle retarde la constitution d’une alliance tripartite, où écologistes et libéraux ne parviennent pas à trouver d’accord. C’est finalement une « grande coalition » qui prévaut, mais où les deux partenaires principaux, CDU et SPD, sont pareillement fragiles. Officiellement chancelière pour son quatrième mandat en mars 2018, Angela Merkel quitte la présidence de la CDU en septembre, après de nouveaux revers électoraux. Elle annonce aussi un mois plus tard, non sans émotion, qu’elle quittera la politique à la fin de son mandat, en septembre 2021. Jusqu’à cette échéance, elle sera restée, selon le magazine Forbes, la femme la plus puissante du monde.

Source: RFI

Articles associés