À l’heure où le Mali traverse une période charnière de son histoire politique, marquée par des débats passionnés sur la dissolution des partis politiques, nous observons avec inquiétude la résurgence d’un discours tendant à disqualifier des repères historiques et culturels essentiels à notre identité collective. C’est dans ce contexte que les propos tenus par le Professeur Ali Nouhoum DIALLO, haute personnalité politique, ancien Président de l’Assemblée nationale et acteur majeur du mouvement démocratique malien à qui j’ai un profond respect, à l’encontre de la Charte de Kurukanfuga, nous interpellent profondément.
Ce n’est pas la première fois que cette Charte fondatrice de nos sociétés ouest-africaines, porteuse de valeurs de solidarité, de justice sociale, de cohésion communautaire et de gouvernance partagée, est écartée sous prétexte d’archaïsme. Déjà, la tentative du Président feu Amadou Toumani Touré (ATT) de la référencer dans une réforme constitutionnelle avait rencontré l’opposition de figures politiques majeures, tout comme cela fut le cas lors de l’adoption de la nouvelle Constitution par référendum en juillet 2023.
Or, il convient de rappeler que toute charte ou texte ancien, y compris la Charte des Nations Unies (1945), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), les textes religieux ou les constitutions modernes, est toujours interprété à la lumière des contextes contemporains. Leur lecture dynamique a toujours été source d’évolution, de réinterprétation, voire d’amendements nécessaires à leur pérennité et leur pertinence. Pour ceux qui ne le savent pas, c’est la valeur d’hospitalité révélée dans la Charte de Kurukanfuga qui motive le plus l’accueil de nos jours de plusieurs milliers de déplacés internes sur les terres du Mandé.
Refuser aujourd’hui à la Charte de Kurukanfuga, rédigée en 1236 à la suite de la fondation de l’Empire du Mali, cette même possibilité d’adaptation et d’actualisation, c’est nier non seulement la richesse de notre héritage intellectuel africain, mais aussi les potentialités qu’il recèle pour éclairer notre chemin vers un vivre-ensemble harmonieux.
Le référencement constant de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dans notre Constitution, tout en rejetant celui de la Charte de Kurukanfuga et toute autre Charte, si elle existe, ne constitue t-il pas à bien des égards une forme de déni de soi, voire un effacement de notre histoire propre.
Nous lançons donc un appel solennel :
- Au Professeur Ali Nouhoum DIALLO, homme de savoir et d’expérience, pour qu’il engage une lecture plus contextualisée de la Charte de Kurukanfuga, avec la hauteur intellectuelle et historique qu’on lui connaît ;
- Aux acteurs politiques, aux intellectuels, aux constitutionnalistes et aux citoyens maliens, pour qu’ils reconnaissent que les textes fondateurs de notre civilisation ne sauraient être statiques ;
- À l’ensemble des institutions nationales, pour qu’elles valorisent les fondements historiques et culturels du Mali dans le respect des principes universels, dans un esprit d’ouverture et de complémentarité.
L’avenir du Mali repose autant sur notre capacité à inventer des solutions nouvelles que sur notre lucidité à puiser dans notre passé ce qu’il a de plus structurant.
Bamako, le 21 avril 2025
Mamadou Naman KEITA
Officier de l’Ordre National