« Afrique : du verrouillage du pouvoir à la manipulation des urnes

Dans de nombreux pays africains, les récents développements politiques confirment une tendance inquiétante : le blocage systématique de l’alternance démocratique et la manipulation des processus électoraux par des régimes en place. Deux cas actuels, notamment la Guinée-Bissau et la Côte d’Ivoire concentrent aujourd’hui les symptômes les plus visibles de cette crise politique, dans un continent pourtant riche d’aspirations démocratiques.

Guinée-Bissau : une démocratie suspendue
Le président Umaro Sissoco Embaló est accusé de conduire la Guinée-Bissau vers une impasse autoritaire. Après avoir dissous le Parlement en décembre 2023, il a également suspendu la tenue des élections législatives prévues, invoquant des raisons sécuritaires et institutionnelles. Depuis, le pays fonctionne sans pouvoir législatif actif, concentrant l’ensemble des décisions dans les mains de l’exécutif.

Les risques liés à cette situation sont multiples : la Crispation politique et sociale, avec une opposition marginalisée et sous pression ; la Délégitimation des institutions, alors que le Parlement est censé incarner la représentativité nationale et l’Isolement diplomatique croissant, dans un contexte où la communauté internationale s’interroge sur la viabilité démocratique du régime. L’absence de calendrier électoral clair, l’absence de dialogue national inclusif et la centralisation du pouvoir exécutif suscitent des craintes d’un retour à l’instabilité chronique qui a marqué l’histoire politique du pays.

Côte d’Ivoire : vers une présidentielle à haute tension
À moins d’un an de la présidentielle de 2025, le climat politique ivoirien se dégrade. Le président Alassane Ouattara, déjà réélu en 2020 pour un troisième mandat controversé, envisagerait un quatrième mandat, malgré les promesses antérieures de se retirer de la vie politique active. Plus encore, plusieurs figures majeures de l’opposition ont été radiées de la liste électorale, officiellement pour des raisons judiciaires.

Ce verrouillage du jeu électoral soulève plusieurs inquiétudes majeures, notamment l’Exclusion des principaux adversaires du scrutin, compromettant l’équité du processus ; la Méfiance croissante envers les institutions électorales et judiciaires, perçues comme inféodées et le Risque de violences politiques, à l’image des tragédies postélectorales de 2010-2011 qui avaient causé des milliers de morts.

Malgré les appels au dialogue de certains acteurs de la société civile, la polarisation reste forte et l’hypothèse d’un scrutin inclusif et apaisé semble s’éloigner à mesure que s’approche l’échéance électorale.

Une dynamique continentale bien ancrée
Les dérives observées en Guinée-Bissau et en Côte d’Ivoire s’inscrivent dans une logique bien connue sur le continent africain, marquée par : la modification des constitutions pour permettre des mandats illimités (Rwanda, Guinée, Congo-Brazzaville, Ouganda) ; l’instrumentalisation de la justice contre les opposants (Cameroun, Tchad, Bénin) et l’usage de la violence politique et de la répression policière pour étouffer toute contestation (Eswatini, RDC, Éthiopie).

Les conséquences sont durables : faiblesse des institutions, désengagement des citoyens, perte de confiance dans les urnes et frein au développement économique.

Verrouillage du pouvoir et manipulations électorales : des catalyseurs de coups d’État en Afrique
Ces verrouillages systématiques du pouvoir et la manipulation des processus électoraux nourrissent directement les coups d’État qui se multiplient sur le continent. En niant aux peuples leur droit à l’alternance, les régimes autoritaires provoquent une perte totale de confiance dans les voies légales d’expression démocratique, ouvrant la voie à l’intervention des militaires comme ultime recours perçu. Cette spirale accentue la fragilisation des institutions, exacerbe les frustrations populaires et aggrave les souffrances sociales, économiques et sécuritaires des populations déjà éprouvées.

Alternance possible : quelques contre-exemples inspirants
Pourtant, des pays comme le Ghana, la Zambie, le Cap-Vert, le Sénégal ou les Seychelles prouvent qu’une alternance pacifique est possible. Ces États ont réussi à maintenir un pluralisme électoral crédible, avec des institutions relativement indépendantes, une presse plus libre et des transitions de pouvoir sans violence.

Sortir de l’impasse : quelles pistes de réforme
Pour éviter l’enlisement démocratique, plusieurs axes de réforme s’imposent : le Renforcement des garde-fous constitutionnels (mandats limités, pouvoirs équilibrés) ; l’Indépendance réelle des organes électoraux et du pouvoir judiciaire ; la Protection des libertés civiles et politiques, notamment pour l’opposition et la presse ; la Pression des partenaires régionaux et internationaux, conditionnant leur soutien à des engagements fermes en matière de gouvernance.

Le choix crucial de l’alternance
Les cas de la Guinée-Bissau et de la Côte d’Ivoire montrent à quel point la démocratie en Afrique reste vulnérable. L’obsession du pouvoir, la peur de l’alternance, la marginalisation des contre-pouvoirs, tout cela alimente un climat de tension et d’instabilité. Il est urgent que les dirigeants africains, les institutions régionales et les sociétés civiles prennent leurs responsabilités pour remettre le continent sur la voie d’une démocratie réelle, crédible et durable.

LA RÉDACTION MANDEINFOS »

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