Abuja célèbre les 50 ans de la CEDEAO, sur fond de fracture géopolitique majeure avec le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger. L’organisation ouest-africaine est-elle à la croisée des chemins ?

La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a soufflé ses 50 bougies le 28 mai 2025 à Abuja, dans une ambiance mêlant célébration institutionnelle et inquiétude stratégique. Cinquante ans après la signature du Traité de Lagos, l’organisation qui se rêvait en “Union européenne de l’Afrique de l’Ouest” traverse l’une des crises les plus profondes de son histoire, marquée par le retrait fracassant du Mali, du Burkina Faso et du Niger, les trois membres de l’Alliance des États du Sahel (AES).
Alors que les chefs d’État restants ont réaffirmé leur attachement à une CEDEAO démocratique, intégrée et résiliente, les défis structurels restent nombreux. Tour d’horizon des acquis, failles et perspectives d’une organisation à la fois pionnière et fragilisée.

Un demi-siècle d’intégration politique et économique :
Depuis sa création en 1975, la CEDEAO s’est dotée d’un appareil institutionnel robuste : une Commission exécutive, un Parlement, une Cour de justice et un Protocole sur la démocratie qui fait figure de référence sur le continent. En matière de gestion des crises, l’organisation a su démontrer une capacité d’action rapide : en Sierra Leone, au Liberia ou plus récemment en Gambie (2017), elle a prévenu ou mis fin à des dérives autoritaires.
Elle a également initié des chantiers ambitieux pour l’avenir économique de la région : marché commun, tarif extérieur commun, projet de monnaie unique (ECO), libre circulation des personnes et des biens. La CEDEAO a souvent été saluée comme le modèle d’intégration régionale le plus avancé d’Afrique.

Le séisme AES : une rupture historique :
Mais ce tableau ne saurait occulter la fracture profonde ouverte par le retrait des trois pays du Sahel, décidé en janvier 2024. Le Mali, Burkina Faso et Niger ont claqué la porte en dénonçant les sanctions économiques et politiques imposées par la CEDEAO.
Ils accusent l’organisation de “servir des intérêts étrangers” et de “punir des transitions nationales légitimes”. En retour, la CEDEAO les a accusés de violations répétées de l’ordre constitutionnel. Résultat : une cassure géopolitique sans précédent au sein de l’espace ouest-africain.
Ce que le retrait des États du Sahel permet à la CEDEAO :
Ironiquement, cette sortie pourrait aussi être perçue comme une clarification stratégique. Délestée de régimes contestataires, la CEDEAO peut aujourd’hui : réaffirmer son attachement à la démocratie et à la bonne gouvernance ; éviter les blocages diplomatiques au sein de ses institutions ; et concentrer ses efforts sur des projets d’intégration économique entre États plus stables.
Certains observateurs estiment même que ce retrait permettrait une forme d’assainissement politique, où l’adhésion à l’organisation serait conditionnée à des engagements constitutionnels fermes.

Mais à quel prix ?
La perte est toutefois lourde. En quittant la CEDEAO, les trois pays du Sahel emportent avec eux près de 60 millions d’habitants, une zone stratégique dans la lutte contre le terrorisme et d’importantes ressources naturelles (notamment l’uranium du Niger l’or du burkinabé et le lithium du Mali).
L’espace CEDEAO se retrouve désarticulé géographiquement, avec une rupture des corridors économiques nord-sud (Abidjan-Bamako, Cotonou-Niamey, Lomé-Ouagadougou). Sur le plan sécuritaire, la coordination régionale est désormais plus complexe, alors que le Sahel reste le principal foyer de violences armées djihadistes du continent.
Autre menace : celle d’un effet domino politique, où d’autres régimes en difficulté pourraient être tentés de quitter l’organisation en cas de sanctions. La CEDEAO voit ainsi son pouvoir de dissuasion fragilisé.

Une intégration économique encore inachevée :
Au-delà des turbulences politiques, la CEDEAO peine à concrétiser son rêve d’un marché régional intégré. Moins de 15 % des échanges commerciaux des États membres se font entre eux et le projet de monnaie unique ECO, longtemps vanté, est toujours en suspens, faute de convergence économique.
Les inégalités structurelles entre pays anglophones, francophones et lusophones persistent. Le leadership nigérian, bien que central, est parfois contesté. En parallèle, l’organisation reste largement dépendante des financements extérieurs, limitant sa capacité à agir de manière souveraine.

Et maintenant ? Une refondation à bâtir :
Le 50e anniversaire aurait pu être celui d’une célébration unanime. Il est devenu celui d’un bilan douloureux mais nécessaire. Pour survivre à cette épreuve, la CEDEAO devra : Renforcer sa légitimité interne, en révisant sa charte démocratique pour mieux gérer les transitions politiques ; Réengager diplomatiquement les États du Sahel, sans renier ses principes ; Accélérer les projets économiques concrets, notamment les infrastructures régionales et l’interconnexion énergétique ; et surtout, Redonner confiance aux peuples ouest-africains dans un projet régional utile, protecteur et inclusif.

Une union en mutation :
L’histoire retiendra peut-être que le retrait de l’AES, loin d’être une fin, aura été le point de départ d’une CEDEAO plus exigeante, plus stratégique et mieux ancrée dans les réalités de ses citoyens. Mais pour cela, encore faut-il que les ambitions politiques se traduisent en actes. Le chantier des cinquante prochaines années commence maintenant.

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