Le géant du coton voit ses perspectives de production fondre cette année comme du beurre au soleil.
Ce fleuron de l’économie malienne ignorait quelles surprises la campagne agricole en cours allait lui réserver, car il n’avait encore jamais connu de pareille. Un plan d’une forte audace avait été échafaudé en vue d’atteindre le million de tonnes de coton-graine. Un grain de sable glissé dans le mécanisme a suffi pour déjouer les prévisions. Les cotonculteurs ont semé trop peu et trop tard. L’inflexion de la courbe des surfaces emblavées d’au moins de moitié dans les zones sud, bassin cotonnier, est la fille de la baisse drastique du prix garanti au producteur. En outre, la Covid 19 s’est fait inviter aux négociations interprofessionnelles annuelles de fixation du prix dans un contexte de plongeon des cours du coton. Le département de l’Agriculture se cramponnait à 200 F CFA par kg contre 250 F CFA l’an dernier. Remontés, les cotonculteurs ont purement et simplement décidé de boycotter la culture.
Les langues se sont déliées. D’aucuns en sont arrivés à la conclusion que le très écouté Bakary Togola, président de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton (CSCPC), en détention provisoire à l’époque des faits, pouvait dénouer la crise.
Montée du flux migratoire
La production de coton, qui fait vivre quelque 3 millions de personnes, sert de moteur à la culture de céréales sèches par le biais notamment de fourniture d’engrais. Les villages tournés vers le coton ont, durant des décennies, poussés comme des champignons. Par conséquent le déficit de production accusé cette année va pousser la population en âge de travail à l’exode pour y trouver de quoi se nourrir. Les jeunes – filles et garçons – sont les premiers à quitter leur village en quête de travail pour subvenir à l’entretien de leur famille et/ou obtenir le trousseau de mariage. La longue absence de ceux-ci perturbe considérablement les liens entre paysans. Les bras valides se perdent, le savoir-faire souvent et les femmes, auxquelles incombe essentiellement la lutte quotidienne pour gagner des ressources de plus en plus maigres, doivent faire face à des exigences croissantes. Premières à se lever, elles sont les dernières à se coucher souvent le ventre vide, écrasées par le poids du travail. S’y ajoutent les problèmes sociaux : les enfants ne fréquentent plus l’école car ils doivent contribuer à subvenir aux charges de la famille, l’accès à la formation est réduit et bien souvent les conditions sanitaires se détériorent. D’autant plus que le moindre franc supplémentaire perçu sur la vente du coton contribue fortement à la prise en charge des frais de scolarité des enfants, l’achat de leurs fournitures scolaires et la prise en charge des dépenses de santé.
Indifférence apparente
Un sérieux coup est également porté aux huileries cotonnières. Ainsi sevrées de matière première leur permettant de tourner pendant une bonne partie de l’année, elles seront condamnées à des arrêts prématurés, ou enclin à se délester d’une partie de leurs employés. Créant un manque à gagner énorme pour des centaines d’ouvriers assurent le quotidien de leur famille. Selon les statistiques, chaque travailleur malien nourrit en moyenne directement sept personnes au Mali.
Les principales villes du Sud seront donc près d’atteindre leur capacité de rendement économique. Ségou, Bamako, Sikasso, entre autres, n’étant plus depuis fort longtemps à même de fournir du travail à tous ceux qui en cherchent, on pourrait assister à un renforcement du flux migratoire au delà des frontières nationales et continentales. Pour beaucoup d’entre eux, le but c’est l’Europe. Peu importe de laisser sa vie dans d’immense étendue de sable ou au fond des océans, les lucioles de l’occident attirent toujours en dépit des messages de sensibilisation tournés vers les jeunes et leurs parents.
La Compagnie malienne de développement textile(CMDT) mesure l’ampleur de l’abîme. Juillet 2018 le président de la République d’alors Ibrahim Boubacar Keïta avec à ses côtés Baba Berthé, Directeur général de la CMDT inauguraient une usine hit tech à Kadiolo, non loin de la frontière ivoirienne. D’un coût de 30 millions d’euros environ, ce projet réalisé en Engeering, procurement and construction (EPC) par Geocoton devait être suivi d’un investissement comparable dans une usine à Kimparana – 200 km au sud-est de Ségou – probablement mise sous boisseau en attendant la relance de la production.
Toutes les prévisions initiales sont tombées à l’eau. En début d’année, l’entreprise, qui emploie 1. 500 salariés, tablait sur des recettes à hauteur de 297 milliards de F CFA et un résultat net prévisionnel en léger déficit de 1,6 milliard de F CFA. Sans ombre d’un doute ces calculs sont à revoir à la lumière de l’énorme déconvenue.
« La situation de la filière est sérieuse. Je regrette une indifférence apparente au sein des décideurs maliens, malgré mes appels y compris aux proches de l’imam Dicko » fulminait l’économiste Modibo Mao Makalou.
« Tenir son rang »
Pour autant tout espoir n’est pas perdu. A en croire cet économiste « toutes les structures agricoles, industrielles et commerciales sont en place pour que le coton poursuive sa forte croissance et que le Mali tienne son rang vis-à-vis des pays voisins ».
Le Bénin, talonné ces dernières années par le Mali, caracole en tête de premier producteur africain, suivi de la Côte d’Ivoire qui chipe le second rang à notre pays. Grâce à une politique volontariste, le président béninois Patrick Talon a maintenu inchangé le prix au producteur fixé à 266 F CFA par kg. Ce pays est bien parti pour pulvériser son record de production de 714. 714 tonnes de coton –graine de l’année dernière.
Cependant la chute de la production n’explique pas tous les déboires de la CMDT, du reste affectée par l’accumulation des arriérés de subvention de l’Etat. Nonobstant,
la direction a planifié son rêve d’essor dans ses moindres détails. Etant donné la période qui nous sépare de la prochaine campagne agricole et de l’enthousiasme des paysans à retrouver à nouveau et davantage les manches, il est loisible d’afficher un remarquable optimisme. « Nous espérons une reprise dès l’an prochain »a confirmé Karim Aït Talb, Directeur général délégué de la Geocoton.
Le Mali a tout pour retrouver son lustre d’antan. N’ayant pas les reins solides, le géant du coton ne court point le risque d’une noyade. Bien au contraire, à en juger par le propos d’un négociant : « La CMDT va certes souffrir pour amortir ses frais de structure mais son faible niveau de stock pourra paradoxalement lui éviter de perdre trop d’argent. »
Il est à rappeler que le PDG Baba Berthé a usé de tous les moyens pour éviter cette situation car il n’a de cesse d’interpeller les hautes autorités sur la dette.
Et ce cri n’a pas été entendu et finalement Titanic a chaviré.
Yattara Ibrahim
Ce fleuron de l’économie malienne ignorait quelles surprises la campagne agricole en cours allait lui réserver, car il n’avait encore jamais connu de pareille. Un plan d’une forte audace avait été échafaudé en vue d’atteindre le million de tonnes de coton-graine. Un grain de sable glissé dans le mécanisme a suffi pour déjouer les prévisions. Les cotonculteurs ont semé trop peu et trop tard. L’inflexion de la courbe des surfaces emblavées d’au moins de moitié dans les zones sud, bassin cotonnier, est la fille de la baisse drastique du prix garanti au producteur. En outre, la Covid 19 s’est fait inviter aux négociations interprofessionnelles annuelles de fixation du prix dans un contexte de plongeon des cours du coton. Le département de l’Agriculture se cramponnait à 200 F CFA par kg contre 250 F CFA l’an dernier. Remontés, les cotonculteurs ont purement et simplement décidé de boycotter la culture.
Les langues se sont déliées. D’aucuns en sont arrivés à la conclusion que le très écouté Bakary Togola, président de la Confédération des sociétés coopératives des producteurs de coton (CSCPC), en détention provisoire à l’époque des faits, pouvait dénouer la crise.
Montée du flux migratoire
La production de coton, qui fait vivre quelque 3 millions de personnes, sert de moteur à la culture de céréales sèches par le biais notamment de fourniture d’engrais. Les villages tournés vers le coton ont, durant des décennies, poussés comme des champignons. Par conséquent le déficit de production accusé cette année va pousser la population en âge de travail à l’exode pour y trouver de quoi se nourrir. Les jeunes – filles et garçons – sont les premiers à quitter leur village en quête de travail pour subvenir à l’entretien de leur famille et/ou obtenir le trousseau de mariage. La longue absence de ceux-ci perturbe considérablement les liens entre paysans. Les bras valides se perdent, le savoir-faire souvent et les femmes, auxquelles incombe essentiellement la lutte quotidienne pour gagner des ressources de plus en plus maigres, doivent faire face à des exigences croissantes. Premières à se lever, elles sont les dernières à se coucher souvent le ventre vide, écrasées par le poids du travail. S’y ajoutent les problèmes sociaux : les enfants ne fréquentent plus l’école car ils doivent contribuer à subvenir aux charges de la famille, l’accès à la formation est réduit et bien souvent les conditions sanitaires se détériorent. D’autant plus que le moindre franc supplémentaire perçu sur la vente du coton contribue fortement à la prise en charge des frais de scolarité des enfants, l’achat de leurs fournitures scolaires et la prise en charge des dépenses de santé.
Indifférence apparente
Un sérieux coup est également porté aux huileries cotonnières. Ainsi sevrées de matière première leur permettant de tourner pendant une bonne partie de l’année, elles seront condamnées à des arrêts prématurés, ou enclin à se délester d’une partie de leurs employés. Créant un manque à gagner énorme pour des centaines d’ouvriers assurent le quotidien de leur famille. Selon les statistiques, chaque travailleur malien nourrit en moyenne directement sept personnes au Mali.
Les principales villes du Sud seront donc près d’atteindre leur capacité de rendement économique. Ségou, Bamako, Sikasso, entre autres, n’étant plus depuis fort longtemps à même de fournir du travail à tous ceux qui en cherchent, on pourrait assister à un renforcement du flux migratoire au delà des frontières nationales et continentales. Pour beaucoup d’entre eux, le but c’est l’Europe. Peu importe de laisser sa vie dans d’immense étendue de sable ou au fond des océans, les lucioles de l’occident attirent toujours en dépit des messages de sensibilisation tournés vers les jeunes et leurs parents.
La Compagnie malienne de développement textile(CMDT) mesure l’ampleur de l’abîme. Juillet 2018 le président de la République d’alors Ibrahim Boubacar Keïta avec à ses côtés Baba Berthé, Directeur général de la CMDT inauguraient une usine hit tech à Kadiolo, non loin de la frontière ivoirienne. D’un coût de 30 millions d’euros environ, ce projet réalisé en Engeering, procurement and construction (EPC) par Geocoton devait être suivi d’un investissement comparable dans une usine à Kimparana – 200 km au sud-est de Ségou – probablement mise sous boisseau en attendant la relance de la production.
Toutes les prévisions initiales sont tombées à l’eau. En début d’année, l’entreprise, qui emploie 1. 500 salariés, tablait sur des recettes à hauteur de 297 milliards de F CFA et un résultat net prévisionnel en léger déficit de 1,6 milliard de F CFA. Sans ombre d’un doute ces calculs sont à revoir à la lumière de l’énorme déconvenue.
« La situation de la filière est sérieuse. Je regrette une indifférence apparente au sein des décideurs maliens, malgré mes appels y compris aux proches de l’imam Dicko » fulminait l’économiste Modibo Mao Makalou.
« Tenir son rang »
Pour autant tout espoir n’est pas perdu. A en croire cet économiste « toutes les structures agricoles, industrielles et commerciales sont en place pour que le coton poursuive sa forte croissance et que le Mali tienne son rang vis-à-vis des pays voisins ».
Le Bénin, talonné ces dernières années par le Mali, caracole en tête de premier producteur africain, suivi de la Côte d’Ivoire qui chipe le second rang à notre pays. Grâce à une politique volontariste, le président béninois Patrick Talon a maintenu inchangé le prix au producteur fixé à 266 F CFA par kg. Ce pays est bien parti pour pulvériser son record de production de 714. 714 tonnes de coton –graine de l’année dernière.
Cependant la chute de la production n’explique pas tous les déboires de la CMDT, du reste affectée par l’accumulation des arriérés de subvention de l’Etat. Nonobstant,
la direction a planifié son rêve d’essor dans ses moindres détails. Etant donné la période qui nous sépare de la prochaine campagne agricole et de l’enthousiasme des paysans à retrouver à nouveau et davantage les manches, il est loisible d’afficher un remarquable optimisme. « Nous espérons une reprise dès l’an prochain »a confirmé Karim Aït Talb, Directeur général délégué de la Geocoton.
Le Mali a tout pour retrouver son lustre d’antan. N’ayant pas les reins solides, le géant du coton ne court point le risque d’une noyade. Bien au contraire, à en juger par le propos d’un négociant : « La CMDT va certes souffrir pour amortir ses frais de structure mais son faible niveau de stock pourra paradoxalement lui éviter de perdre trop d’argent. »
Il est à rappeler que le PDG Baba Berthé a usé de tous les moyens pour éviter cette situation car il n’a de cesse d’interpeller les hautes autorités sur la dette.
Et ce cri n’a pas été entendu et finalement Titanic a chaviré.
Yattara Ibrahim
Source: L’Informateur