Interview: de Dr Choguel Kokalla MAÏGA ( Président du MPR) au Journal L’Indépendant sur : le DNI, Le Sommet de Pau, le procès Aya Sanogo

1-L’Indépendant : Au lendemain du Dialogue National Inclusif ( DNI), vous avez élus un jugement sans concession sur les résolutions de ce forum, que vous avez qualifié de plats réchauffés. Depuis, s’est-il infléchi ?
-Dr Choguel Kokalla MAÏGA (CKM ): Mon jugement sur les résultats du DNI procède d’une analyse politique de fond, stratégique, dénuée de tout calcul opportuniste. Au DNI, le cérémonial et l’emphase ont masqué le fond du débat. À l’issue de dix jours de joutes oratoires, le Gouvernement n’a retenu que ce qui est important pour sa propagande et sa communication politique. Ce qui vient conforter les appréhensions de l’Opposition.
À preuve, les quatre principales décisions du DNI, dénommées « résolutions » n’ont concerné que les sujets que le Gouvernement voulait imposer aux Maliens bien avant le lancement de processus du DNI.
Par exemple, de l’avis unanime des observateurs ayant assisté aux débats, les intervenants au DNI s’étaient prononcés, dans leur large majorité , contre la révision constitutionnelle ( avant le rétablissement de l’intégrité territoriale et de la sécurité) et pour la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu d’une processus d’Alger afin d’en extirper toutes les dispositions et formulations attentatoires à l’intégrité du territoire, au caractère unitaire et à la forme républicaine et laïc de l’Etat malien. Malheureusement, les rédacteurs des conclusions du DNI , sous la dictée des très nombreux représentants Gouvernement, qui est lui-même soumis à la pression et au chantage permanent des mouvements séparatistes et de leurs parrains, n’ont retenu que ce qui convient à ces derniers: réviser la Constitution. Tout le reste n’est que du bla-bla. On se retrouve donc dans la même situation qu’en 2017.
Au lieu que le DNI identifie tous les points à réviser dans l’Accord d’Alger et les impose au Gouvernement , le renvoi simple à l’article 65 est un antalgique astucieusement administré aux participants au DNI pour calmer la douleur du peuple malien meurtri. Le Mali se trouve ainsi doublement piégé car, l’article 65 donne aux séparatistes presque un droit de véto. Ensuite, cette démarche aboutira immanquablement à des discussions interminables et stériles, avec comme effet à court et moyen termes le maintien de la situation précaire d’instabilité chronique, et de partition de fait du Mali. La finalité étant que le pourrissement de la situation et le délitement continu de l’Etat atteignent un point de non retour, afin de rendre irréversible dans quelques années le processus de partition déjà programmée du Mali, et le justifier au niveau international. Ici, saute à l’œil l’absence totale de vision et de maturité stratégique du Gouvernement.
Quant à la résolution portant sur l’organisation des élections législatives en mai 2020, le DNI n’a fait qu’entériner une date déjà fixée par le Gouvernement depuis mai-juin 2019, alors même que toutes les raisons avancées en son temps pour justifier le report des élections ( crise sécuritaire au Nord et au Centre) n’ont pas changer, voire se sont même aggravées. Par ailleurs, l’idée du DNI a germé entre autres à la suite de la crise post électorale de 2018, conséquence de la fraude électorale à grande échelle et de la mauvaise gouvernance. Or rien n’a été retenu pour remédier à ces deux fléaux( la mauvaise gouvernance et la fraude électorale) qui menacent gravement l’existence de la Nation et la pérennité du processus démocratique.
La dernière résolution porte sur le renforcement de la Sécurité et le redéploiement de l’Administration courant 2020. Si le ridicule tuait, les Maliens et les vrais amis du Mali allaient tous mourir de rires. Car , DNI ou pas, tout au long de l’Histoire, la mission normale de tout Gouvernement, de tous les États, de tous les temps et dans tous les pays, a toujours été prioritairement d’assurer la sécurité des populations et de leurs biens. Et c’est une demande forte restée sans solution des Maliens depuis 2013. Question : si en janvier 2020, le Gouvernement reconnaît lui-même l’absence de l’Administration et de la sécurité à l’intérieur du pays depuis des années, comment compte-il organiser les élections législatives sur l’ensemble du territoire en mai 2020 ?

2-L’Indépendant : Quelle est votre réaction face à l’appel lancé à l’Opposition pour sa participation à la mise en œuvre des résolutions et recommandations du DNI ?
-CKM. Je préfère réserver ma position jusqu’à ce que l’Opposition de façon concertée prenne une décision commune.

3-L’Indépendant : Aujourd’hui, il apparaît que les Maliens dans leur majorité ont adhéré au DNI et à ses conclusions. Ne craignez-vous pas d’isoler votre Parti en refusant de participer à la mise en œuvre desdites conclusions ?
-CKM : Notre Parti, le MPR, saura le moment venu faire le choix qui correspond à ce que nous croyons être conforme aux intérêts supérieurs du Mali et à nos convictions.
Le matraquage médiatique et la propagande forcenée auxquels sont soumis les Maliens de la part du Gouvernement, ne trompent personne et ne doivent pas nous dévier de notre trajectoire : ne jamais être coupable ou complice des choix et décisions qui à terme compromettent l’unité nationale, l’intégrité du territoire national, la cohésion du peuple malien dans l’égal respect des spécificités de chacune de ses composantes.

4-L’Indépendant : Ce lundi
s’ouvre à Pau ( France) un sommet très attendu entre le Président Emanuel Macron et ses homologues du G5 Sahel. Qu’en attendez-vous ?
-CKM : Je pense que ce Sommet doit être celui de clarification des positions de part et d’autre, il peut être le point de départ pour un renouveau dans les relations entre les pays du G5 Sahel et la France qui se trouve être leur principal partenaire et allié international.

5-L’Indépendant : Qu’elles posture devraient selon vous, devraient adopter les cinq Chefs d’Etats sahéliens ?
-CKM : Je ne parlerai pas des autres Chefs d’Etat mais de celui de mon pays, le Mali.
IBK doit tenir le langage de la vérité et poser les vraies et bonnes questions qui tourmentent les Maliens. Quels sont les véritables objectifs stratégiques de la France au Mali ? Les conditions de son engagement militaire au Mali ? Ces questions s’imposent d’autant plus que l’Opération Serval, après avoir stoppé l’avancée de djihadistes et terroristes vers le sud du Mali ( son premier objectif officiel), n’a pas permis le recouvrement de l’intégrité territorial du Mali ( son deuxième objectif officiel); bien au contraire, après Konna, Tombouctou, Gao, la France a empêché l’Armée malienne de prendre procession de Kidal reprise des mains d’Ansar Dine; elle a remis en selle les séparatistes de la CMA, leur a donné une couverture diplomatique et militaire et a permis la sanctuarisation de Kidal devenu un État dans l’Etat malien. À quelle fin ? Quel sens donne-t-elle dans ce cas à l’expression « intégrité territoriale et souveraineté du Mali » quand on sait que
l’Opération Serval, sans atteindre l’objectif de rétablissement de l’intégrité territoriale du Mali, s’est muée à l’insu des Maliens en Opération Barkhane , pourquoi ? Est-ce à la demande du peuple malien, et plus largement des peuples du Sahel ? Quand et par qui cette demande a été formulée au près de la France ?

6-L’Indépendant : Pensez-vous que ce Sommet sera vraiment celui de la clarification des rôles des différents protagonistes ?
-CKM- Si le Sommet ne permet pas la clarification des positions, des rôles et responsabilités des uns et des autres, il n’aura pas servi à grand-chose. Je crois que l’objectif du Président Macron c’est d’aboutir à des résultats satisfaisants pour toutes les parties.
Il ne faut surtout pas perdre de vue que ce sommet a été convoqué à la suite de certains événements. D’une part, le Président français se trouve face aux conséquences désastreuses des choix et décisions de ses prédécesseurs : Sarkozy et Hollande. Le premier est à la base de la destruction de l’Etat Libyen en 2011 et du funeste projet de partition du Mali en 2012. Le second, en violation totale du droit international et de la demande officielle du Gouvernement de Transition du Mali de janvier 2013, par son double jeu et son double langage, a favorisé la sanctuarisation de Kidal et la partition de fait du Mali. Les deux ont soutenu ou couvert les Mouvements séparatistes qui, à leur tour, se sont continuellement compromis dans des liaisons organiques incestueuses avérées et reconnues ( y compris par les militaires français et le Président du Niger ) avec les terroristes et les narco trafiquants.
La conséquence de cette politique faite d’ambiguïtés est la situation inconfortable dans laquelle se trouvent aujourd’hui la France et le Mali : les soldats français meurent par dizaines sur notre territoire dans des attaques terroristes , alors que les Maliens qu’ils sont sensés défendre, au lieu de les remercier, manifestent contre leur présence.
Macron se trouve donc face aux opinions publiques française et malienne désorientées et qui s’interrogent. Macron se trouve aussi face à ses partenaires de l’Union Européenne et de l’OTAN qui, manifestement, ne montrent pas beaucoup
d’ enthousiasme pour s’impliquer dans le Sahel. Or, l’évolution de la situation militaire, avec des centaines de morts dans les rangs des armées et au sein des populations civiles, rend la présence militaire française dans le Sahel de plus en plus problématique. Par ailleurs, cette présence militaire française n’est couverte ni par un mandat de l’ONU, ni par un mandat claire issu d’une demande expresse du Mali ( et des pays du G5 Sahel), ni par un mandat dûment motivé de l’Assemblée nationale française. D’où l’objectif stratégique et la finalité du Sommet de Pau pour Macron : obtenir des Chefs d’Etat des pays du G5 Sahel, un mandat clair, une demande en bonne et due forme, qui servira de couverture diplomatique et juridique à la présence militaire française ( et pourquoi pas un jour de l’OTAN ) dans le Sahel, présence qui visiblement est appelée à durer.
Dans ces conditions, au Sommet de Pau, tous et chacun doivent jouer franc jeu, sans complexe, mettre toutes les cartes sur la table, afin d’aboutir à des résultats conformes aux intérêts supérieurs des peuples qu’ils disent représenter.
Le Chef de l’Etat malien sera alors fondé d’exiger de la France la fin des ambiguïtés , la fin au double jeu avec les séparatistes, la fin de la sanctuarisation de Kidal. La France a les moyens de contraindre les séparatistes à rompre avec les terroristes et les narco trafiquants, à renoncer définitivement au projet de partition du Mali et à inscrire résolument leur action dans le cadre de la République, unitaire et laïque dont ils sont citoyens à part entière. En retour, le Président français certainement ne manquera pas, et à juste titre, au regard du niveau d’engagement et de sacrifice de l’Armée française au Mali, de rappeler avec fermeté au Chef d’Etat malien, l’exigence de mettre fin à la mauvaise gouvernance et à la corruption endémique, qui delégitiment et fragilisent l’Etat et ses institutions, et fertilisent le terreau social et politique sur lequel prospèrent l’idéologie et les actions des mouvements terroristes. Il lui rappellera également l’impérieuse nécessité de rechercher l’union nationale ou tout au moins le consensus national le plus large possible avant d’opérer les réformes politiques et institutionnelles qu’il envisage. Si chacun, de bonne foi , expose les vrais problèmes, se tient dans de bonnes dispositions et propose de bonnes solutions, le Sommet de Pau pourrait constituer un un tournant positif.

7- L’Indépendant : Attendu ce lundi, la reprise du procès de Amadou Aya Sanogo et co-accusés vient d’être pour la nième fois ajournée. Qu’en pensez-vous ?
-CKM: Déjà au Congrès du MPR en décembre 2016, nous avions donné notre avis sur les cas de l’ancien Président ATT , alors exilé à Dakar, et sur le cas de Amadou Aya Sanogo, détenu à Sélingué.
Nous avions demandé de permettre et d’organiser le retour du Président ATT au pays natal, dans des conditions dignes de son rang et son statut d’ancien Chef d’Etat. Nous estimions au MPR, que la présence de notre ancien Président à l’extérieur ne grandi pas le Mali et n’est d’aucune utilité. Je me félicite que ceux qui en ces temps-là vilipendaient le Président Touré, applaudissent aujourd’hui son retour.
A ce même Congrès, en décembre 2016, le MPR avait demandé de vider le dossier de Sanogo et ses co-accusés. Il n’est pas acceptable de garder en détention des citoyens des années durant sans jugement. Notre position n’a pas changé. Sanogo et ses co-accusés doivent être jugés ou libérés, pour qu’on tourne la page et qu’on aille vers une vraie réconciliation et le pardon au sein des FAMA. Tout autre démarche ne procède que des règlements de comptes entre anciens amis et alliés, dont le peuple malien n’a nullement besoin.

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