Trois bonnes raisons pour s’insurger contre les enlèvements de Magistrat par la Direction Générale de la Sécurité d’Etat.Me Abdramane Ben Mamata Touré

La première suffirait à elle seule : La magistrature occupe une place particulière au sein de l’administration de l’Etat. Elle est chargée de trancher les contestations juridiques entre particuliers (tribunaux civils, commerciaux, etc.), de réprimer les infractions aux lois pénales (tribunaux répressifs) et de contrôler les gouvernants agissant dans les limites du droit (tribunaux administratifs). Eu égard à la particularité et à la délicatesse de ses missions, les États proclament son indépendance dans leur constitution.
La seconde n’est que le respect dû à une institution constitutionnelle et aux membres qui la composent.
La troisième est le corolaire des deux premières : l’indépendance de la justice et le respect dû aux magistrats chargés de contrôler les gouvernants dans les limites de leurs attributions et compétences.
L’arrestation de Sékou TRAORE , Magistrat de son état et non moins Secrétaire General de la Présidence de la République avec rang de Ministre ouvre la brèche.
S’agissant de l’homme , il est unanimement admis que Monsieur TRAORE est un Homme humble , travailleur et doté d’une expertise technique enviable.
Aujourd’hui, Sékou se trouve au cœur d’une imaginaire affaire de prétendue tentative de déstabilisation des institution au profit de l’ancien premier Ministre Boubou CISSE.
A titre de rappel, ce dernier a , au détour d’une collaboration franche  et sincère placé sa confiance en Monsieur TRAORE dans ses différentes fonctions et la plus haute responsabilité à lui confiée par Boubou CISSE est le poste de secrétaire général  Adjoint au ministère de l’économie et des Finances .
Par la suite , Sékou a été nommé contre la volonté de Boubou CISSE  secrétaire général adjoint de la présidence de la République quelques jours avant le coup d’Etat du 18 aout 2020.
Une fois , installées  , les autorités de la transition , au vu de l’expertise et de la rigueur qu’il a injectées dans la conduite des affaires de la présidence lui ont renouvelé leur confiance tout en lui accordant une promotion.
Il a été ainsi nommé secrétaire général de la Présidence de la République avec rang de Ministre, un poste de très haut niveau faisant de lui la troisième personnalité du pouvoir , position que Boubou CISSE ne lui a pas donné.
Soupçonner monsieur TRAORE , après trois mois de fonction de vouloir déstabiliser ces mêmes autorités de la transition qui l’ont promu au profit de Boubou CISSE qui ne lui a jamais donné une telle position fonctionnelle relève de la fiction pour enfants de moins de 7 ans.
Quel intérêt Monsieur TRAORE aurait à déstabiliser les instituions pour obtenir quoi ?
Une simple question de logique.
S’agissant des implications de son enlèvement , deux problèmes se posent, le premier est relatif à la violation simultanée de son statut de magistrat et de celui que la fonction de Ministre lui confère, le second est relatif au cadre juridique des actions de la DGSE et l’impact de ses méthodes sur l’Etat de droit.
Interpellé comme un vulgaire personnage , traqué , séquestré par les services de la DGSE , monsieur TRAORE est resté humble et courtois .
Ces ressorts de l’homme ne doivent point voiler les enjeux de cet enlèvement , car ce qui est en jeu , c’est l’indépendance de la justice par fragilisation des magistrats qui peuvent être interpelés , enlevés ou séquestrés comme de vulgaires personnages.
Comment juger objectivement si le magistrat tremble chaque fois qu’il se saisit de sa plume pour délibérer ?
Comment juger de manière impartiale si le magistrat frissonne lorsqu’on défère par devant lui à la censure un acte des autorités administratives ?
Ramolli dans son office par la peur d’un éventuel enlèvement , d’une interpellation ou séquestration , le Magistrat devient l’ombre de lui-même et  l’état de droit s’asphyxie , la justice s’évanouit devant les services de renseignement.
L’enjeu fondamental de cette affaire , au-delà de Monsieur TRAORE est celui du respect du statut protecteur des magistrats.
Cette question doit être traitée sérieusement et inscrire l’inviolabilité du statut du Magistrat dans une irréversibilité totale.
S’agissant de la DGSE et de ses méthodes d’intervention , il faut retenir qu’à notre connaissance , cette structure est régie par trois textes (Une loi et deux décrets ).
Il s’agit de :
-La loi 01 N°89-18 ANRM du 1er mars 1989 portant création de la Direction générale de la sécurité d’Etat, adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 31 janvier 1989 ;
– Le Décret N°89-0114 P-RM fixant le cadre général de l’organisation de la Direction Générale de la sécurité d’Etat, signé le 22 Avril 1989.
-Le Décret N°93-008/P-RM portant modification  des articles 1, 3, 6, 7 du Décret N°89-0114 P-RM fixant le cadre général de l’organisation de la Direction Générale de la sécurité d’Etat, signé le 22 Avril 1989.
S’agissant de la loi de 89 portant création de la Direction générale de la sécurité d’Etat, son article 2 dispose : « La Sécurité d’Etat a pour missions, la protection des institutions de la République du Mali notamment par la surveillance de toutes les activités qui s’y déroulent et par la collecte de toutes les informations et de tous les renseignements sur la vie politique , économique , sociale , culturelle , militaire et scientifique du pays ».
L’article 4 précise : « Dans le respect des textes en vigueur , les agents de la Direction générale des Renseignements ont droit d’accès dans toutes les institutions publiques et privées et dans l’exercice de leurs fonctions, il ne peut leur être refusé communication d’aucun document , dossier ou témoignage  ».
Article 5 : « Le Directeur général de la Sécurité d’Etat et son adjoint sont nommés par Décret du Président de la république ».
Au-delà de l’usage de l’adverbe notamment , l’article 2 de la loi de création de cette structure ne lui confère aucune attribution , aucune  compétence pour interpeller , arrêter ou détenir des citoyens , ses missions portent sur la protection des institutions par surveillance , la collecte de données et renseignements dans certains domaines de la vie de la nation.
Alors , en vertu de quel pouvoir ce service procède à ces arrestations extra-judiciaires ?
Quant au décret N°89-0114 P-RM fixant le cadre général de l’organisation de la Direction Générale de la sécurité d’Etat, signé le 22 Avril 1989, il est tributaire d’une erreur de plume dans ses visas.
Il vise d’abord la constitution , ensuite l’ordonnance N°89-18-P-RM comme texte de création alors qu’il s’agit d’une loi : La loi 01 N°89-18 ANRM du 1er mars 1989.
Au-delà de cette coquille, le décret fixant le cadre général de l’organisation de la sécurité d’Etat en son article 2 dispose : «  La Direction générale de la sécurité d’Etat est placée sous l’autorité directe du Président de la République ».
Cet ancrage au niveau de la Présidence a été  modifié par le Décret modificatif de 1993 qui, en son article 2 nouveau place la Direction générale de la Sécurité d’Etat sous l’autorité directe du premier Ministre.
Ce Décret modificatif soumet aussi la validité de son  règlement intérieur à l’approbation du premier Ministre Art1.
L’article 6 nouveau précise que le personnel militaire  , officiers , sous-officiers , inspecteurs et hommes de rang des armées et services est mis à la disposition de la primature pour servir à la Direction Générale de la Sécurité d’Etat.
A ce jour , sauf dispositions contraires , la Direction Générale de la Sécurité d’Etat est sous l’autorité directe du premier Ministre , qui approuve son règlement intérieur , les agents de cette structure sont mis  à la disposition de la Primature.
En vertu de ces textes , la Sécurité d’Etat ne doit rendre compte rend compte qu’au premier Ministre , autorité de tutelle .
Malgré le placement textuel de la DGSE sous l’autorité directe du premier Ministre , elle n’apparait pas sur le décret N° 0096/PM-RM du 16 octobre 2020 portant répartition des services publics entre les départements ministériels.
Elle ne figure ni au chapitre des services de la superstructure , ni parmi les services centraux, ni parmi les organismes personnalisés , ni parmi les autorités administratives indépendantes.
Elle ne figure pas non plus sur la liste des services rattachés au secrétariat général de la Présidence.
Cette indétermination de son ancrage matériel interroge et l’on est tenté de se demander si le premier Ministre  a connaissance du placement de cette entité sous son autorité directe.
Dans l’affirmative , il devient l’interlocuteur , le répondant immédiat de toutes les personnes qui se plaignent de cette structure en vertu de leurs relations hiérarchiques.
On peut aussi se demander les raisons de l’absence de cette entité sur le décret de répartition des services publics au titre de la Primature.
En définitive , la DGSE est une administration publique qui fait du renseignement ( collecte et traitement des informations) pour des motifs de sécurité nationale ou publique par différents moyens : interception des communications, espionnage, surveillance des individus , cryptanalyse, évaluation d’informations publiques.
Au vu des textes ci-dessus cités la DGSE n’a pas vocation à arrêter , détenir des personnes et son autorité de tutelle est la primature.
La méthode adoptée est cavalière et infra-légale : Arrêter pour enquêter en lieu et place d’enquêter avant d’arrêter.`
Au regard de la qualité des personnes arrêtées par la DGSE , il doit y avoir quelque chose de plus globale.
En ce qui concerne Sékou TRAORE , son interpellation procède d’une simple volonté d’agir en circuit contrôlé autour du Président de la transition, le poste de Secrétaire General de la Présidence est un point stratégique dans cette entreprise et Sékou TRAORE constitue un obstacle à cela. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une querelle pour le poste de Secrétaire General de la Présidence.
Or, on peut relever un homme de ses fonctions sans mettre en jeu son honneur, Monsieur TRAORE a été durement  touché dans son honneur et sa dignité, nous en tirerons toutes les conséquences de droit.
Plaise à Dieu !

Maitre Abdourahamane Ben Mamata TOURE
                                                                Avocat

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