Conflit Gouvernement du Mali – UNTM : sortir de l’impasse

2ème Partie Que faire pour une sortie durable et efficace de l’impasse et comment s’y prendre ?
Le système de rémunération actuel des agents de l’Etat n’est pas suffisamment transparent et la gestion calamiteuse des revendications salariales par les gouvernements successifs ont creusé davantage les inégalités de salaires au point de les rendre insoutenables budgétairement et insupportables pour les travailleurs relevant du Statut général des fonctionnaires qui ont le sentiment d’être laissés pour compte. Conséquence : des grèves récurrentes de plus en plus fréquentes et de plus en plus dures privant les citoyens de services publics de base. Cette injustice salariale est au cœur de la grève générale décrétée par l’UNTM le 17 mai 2021, prévue pour être illimitée à compter du 31 mai, mais qui a été suspendue le 25 mai 2021 faute d’interlocuteur suite
à la démission du gouvernement du Premier Ministre Moctar Ouane (Cf. première partie de cet article in journal Malikilé n°886 du 06 juillet 2021.
Le gouvernement du PM Choguel K Maïga a hérité de ce lourd dossier et doit conclure un accord avec l’UNTM pour éviter la reprise de la grève et sortir durablement de l’impasse. Que doit-il faire et comment procéder pour cela ?
1 Que faire ?
Dans l’immédiat le gouvernement doit parer au plus pressé pour éviter la reprise de la grève suspendue par l’UNTM et le déclenchement de grèves par d’autres syndicats. Cela passe par la prise de mesures permettant de rassurer les syndicats sur la détermination du gouvernement à résoudre durablement le conflit salarial. Le PM Choguel Maïga a déjà emprunté cette voie, d’abord en affichant plus de considération pour les syndicats dès sa prise de fonction. Son gouvernement a ensuite élaboré un projet de grille harmonisée des salaires des fonctionnaires, l’une des deux revendications salariales de l’UNTM. L’autre revendication restant à satisfaire est « l’octroi d’indemnités et de primes de spécialités par catégories à tous les fonctionnaires de façon équitable ».

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Parer au plus pressé permet certes d’éteindre le feu provisoirement, mais pour combien de temps ? La préoccupation exprimée au sujet de la nouvelle grille harmonisée par les enseignants de l’enseignement fondamental auteur de la grève de cinq mois qui a failli compromettre l’année scolaire 2019-2020 ne laisse pas présager d’une accalmie durable du front social. Ils estiment que la loi d’harmonisation des grilles remet en cause les dispositions de l’article 39 de leur Statut particulier (qui est en fait un Statut autonome, car les Statuts particuliers doivent être pris par décret et non par une loi pour préciser et compléter le Statut Général des Fonctionnaires
Aussi une grille harmonisée des fonctionnaires relevant du Statut Général des Fonctionnaires suppose le retour dans le Statut Général des Fonctionnaires de tous les fonctionnaires qui se sont vus indument octroyés un « statut autonome » en violation de la Constitution qui ne prévoit ce statut que pour les Forces de Défenses et de Sécurité, et les magistrats (qui ne doivent pas être concernés par la grille
harmonisée). Cela est une autre source potentielle de conflit social.
Le gouvernement va donc devoir aller rapidement au-delà de cette mesure d’urgence pour apporter une solution durable au conflit salarial acceptable pour l’ensemble des syndicats. Cela passe d’abord par une réforme de fonds du système de rémunération doublé d’un réajustement des niveaux de rémunération d’une part, et une gestion plus rigoureuse des conflits sociaux par le Gouvernement et les partenaires sociaux d’autre part.
Réformer le système de rémunération et réajuster les niveaux de rémunération
Avoir une bonne connaissance du système de rémunération et du niveau actuel des rémunérations brutes des différentes catégories d’agents de l’Etat est un préalable à cette réforme. Une étude d’envergure des rémunérations des fonctionnaires et agents de l’Etat est absolument nécessaire pour cela au regard de ces lacunes signalées dans la première partie de cet article : manque de transparence, inégalité criarde de salaires, avantages en nature de droit et de fait non considérés comme des éléments de rémunérations, etc. Je suggère que la première partie soit consacrée à faire un état des lieux précis des salaires permettant de savoir qui gagne combien toutes rémunérations confondues à tous les niveaux afin de mettre en exergue les inégalités de rémunérations. En la confiant à l’ensemble des structures de contrôle de l’Etat en collaboration avec les responsables financiers des structures publiques, le délai d’exécution de cette étude serait très court. Un bureau de consultant disposant de compétences avérées en matière de rémunération des fonctionnaires et agents de l’Etat pourrait être commis dans un deuxième temps pour analyser le système de rémunération, identifier toutes ses lacunes et faire des propositions de réforme.
Pour rappel, en tant que ministre en charge du contrôle général de l’Etat, j’ai fait faire une étude de ce genre en 1992 limitée aux rémunérations de quelques dirigeants de l’Etat dont le résultat a été mis à profit plus tard pour réformer la rémunération des ministres. Depuis, je n’ai cessé de recommander cette étude de large envergure couvrant tous les agents de l’Etat, proposition que j’ai renouvelée pour la dernière fois en 2017 en conseil des ministres.
Les résultats de cette étude seront ensuite mis à profit par l’Etat et les partenaires sociaux pour reformer les rémunérations des fonctionnaires et autres agents de l’Etat. Mais, l’Etat doit définir une politique salariale qui soit un repère pour ces réformes et un guide pour optimiser et maîtriser l’évolution des rémunérations, l’objectif ultime étant une dotation adéquate de l’Etat en ressources humaines (quantitativement et qualitativement) pour assurer une fourniture permanente de services publics de qualité aux usagers.
  selon une disposition de la loi relative à ce Statut Général).

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Je ne m’aventurai pas dans le détail des mesures qui pourraient être prises à ce stade (même si nous avons beaucoup d’idées là-dessus), disons simplement que la réforme doit rendre les rémunérations plus transparentes, plus justes, plus motivatrices du personnel, optimales et soutenables au plan budgétaire. En ce qui concerne l’optimisation, je ne prendrai qu’un seul exemple : comment maintenir un équilibre entre l’augmentation des salaires et le besoin énorme de recrutement dans les secteurs comme l’éducation et la santé dans un contexte de forte limitation des ressources publiques ? « L’adoption d’une politique de recrutement massif des jeunes », une autre revendication permanente de l’UNTM contribuerait à cet équilibre, mais le prix à payer pour cela est forcément une limite des augmentations de salaires. Elle contribuerait aussi à désamorcer la « bombe sociale » qu’est le chômage massif permanent des jeunes.
Un autre exemple pour illustrer mes propos : la politique salariale de l’Etat doit permettre de concilier la maîtrise des inégalités de salaires avec la nécessité de motiver le personnel d’une part, et d’attirer et maintenir les meilleurs cadres dans les structures publiques d’autre part. Tel est loin d’être le cas actuellement : la prise en compte de la performance (du mérite) dans les rémunérations du secteur public reste marginale, de nombreux cadres très qualifiés ont quitté ou cherchent à quitter l’Administration publique, et « la fuite » des jeunes diplômés très qualifiés devant l’administration publique (pour utiliser une terminologie des économistes) s’est généralisée d’année en année (citons à titre d’exemple le cas de nombreux maliens ayant fait de brillantes études dans les grandes universités du monde dont les boursiers d’excellence – l’Etat n’a rien fait pour les attirer).
Mettre en place un cadre de pilotage maîtrisé des rémunérations de l’Etat
Après la réforme des rémunérations, l’Etat va devoir piloter leur évolution pour ne pas tomber dans les travers générés par le pilotage à vue qui a prévalu jusqu’à présent. Pour cela, il sera indispensable de mettre en place un cadre de pilotage maîtrisé dont l’étude préconisée définira les contours.
Je pense à priori aux grands axes suivants :
✓ les éléments de la politique salariale de l’Etat dont il a été question dans les
développements qui précèdent ;
✓ une structure comme un Conseil supérieur des rémunérations de l’Etat (la mise en place
de Comité des rémunérations est une pratique de bonne gouvernance en vigueur dans
de nombreuses grandes entreprises privées à travers le monde) ;
✓ un Pacte Etat – Syndicats de travailleurs – Patronat pour convenir d’une accalmie
durable sur le front social et des principes et règles à respecter pour la prévention et la résolution des conflits sociaux.
Au-delà de ces axes, je peux d’ores et déjà recommander dix bonnes mesures qui aideraient à fixer un cadre de maîtrise de l’évolution des rémunérations des agents de l’Etat.
Dix bonnes mesures d’un cadre de pilotage permettant de maîtriser les rémunérations des agents de l’Etat.
1) Mettre fin immédiatement à tous les abus ou excès constatés qui ne peuvent en rien être considérés comme des droits acquis au détriment du citoyen en procédant à des réajustements et plafonnements : rémunérations et avantages en nature des dirigeants sociaux (Administrateurs et Directeurs Généraux) d’Etablissements publics ; rémunération (indemnités et avantages en nature) des Présidents de Conseil d’administration désignés

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par l’Etat dans les entreprises publiques comme EDM ou à capitaux mixtes comme les Banques; ristournes et primes de performance diverses ; etc.
2) Fixer une rémunération plafond des agents de l’Etat prenant en compte toutes les primes, indemnités et avantages en nature pour éviter les niveaux excessivement élevés de certaines rémunérations qui relèvent parfois clairement de l’abus (prime de plus de 100 millions de FCFA touchée par un seul agent en une année dans certaines structures publiques par exemple).
3) Soumettre à la validation du Conseil Supérieur des Rémunérations (à créer) :
(1) Toutes les grilles de rémunérations du secteur public ne relevant pas du Statut
Général des Fonctionnaires et des Statuts autonomes et « particuliers ».
Sont concernés des Institutions de la République comme l’Assemblée nationale, les établissements publics dotés de la personnalité morale, certains services des grandes administrations publiques économiques et financières en ce qui concerne les primes de performance octroyées, etc.
(2) Toutes les primes, indemnités, ristournes et avantages en nature octroyés hors grille au niveau de certains services de l’Administration publique et des Etablissements publics ayant la personnalité morale.
Les dirigeants sociaux (Membres du Conseil d’Administration et de la Direction Générale) de certains de ces Etablissements se sont accordés des niveaux de rémunération relevant clairement de l’abus de biens sociaux en oubliant qu’il s’agit de l’argent public. Des niveaux de rémunération qui finiront par mettre certains de ces établissements publics en faillite tôt ou tard et l’Etat (donc les citoyens) devra prendre en charge leurs déficits car il est inimaginable de les mettre en faillite (un cas est de notoriété pour tous ceux qui s’intéressent à ces questions, mais je préfère ne pas le citer pour ne pas en faire un bouc-émissaire (la grande étude des rémunérations que je recommande citera tous les cas concernés).
(3) Les rémunérations des Présidents de conseil d’administration désignés par l’Etat dans les entreprises dont il est détenteur de tout ou partie du capital. Comment comprendre par exemple que les Présidents de Conseil d’Administration désignés par l’Etat dans les banques dont l’Etat est actionnaire soient infiniment mieux payés (rémunérations en espèces + avantages en nature) que leurs homologues de grandes banques privées comme ECOBANK ?
4) Soumettre toutes les mesures retenues dans les négociations salariales Etat-Partenaires sociaux à la validation du Conseil Supérieur des Rémunérations pour s’assurer qu’elles ne remettent pas en cause les équilibres établis par le système de rémunération ainsi que le respect de la politique salariale définie par l’Etat ;
5) Instituer un rapportage annuel des Etablissements publics dotés de la personnalité morale et les services rattachés sur les rémunérations au Conseil Supérieur des Rémunérations.
6) Inscrire dans le mandat du Conseil Supérieur des rémunérations un audit périodique des Rémunérations des agents de l’Etat (audit partiel ou complet qu’il pourrait confier à une structure de contrôle). Cela permettrait d’identifier d’autres mauvaises pratiques en cours dans notre pays en matière de rémunération comme le paiement de personnel fictif.
7) Mettre définitivement fin à tous les paiements de rémunérations (directes ou indirectes) d’agents de l’Etat en espèces au profit des virements bancaires pour une meilleure

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traçabilité (permet de limiter les fraudes et de détecter plus facilement celles-ci lors des contrôles) ;
😎 Rendre obligatoire l’intégration de toutes les primes, indemnités et avantages en nature au bulletin de salaire comme cela est le cas dans le secteur privé pour le calcul des impôts, taxes et cotisations sociales assis sur les rémunérations. Triple avantage : (i) transparence des rémunérations ; (ii) juste calcul du montant de ces impôts, taxes et cotisations sociales ; (iii) prise en compte de ces éléments de rémunération dans la base de calcul des pensions ;
9) Mieux cadrer l’intervention de Médiateurs entre l’Etat et les partenaires sociaux dans la résolution de conflits salariaux car elle a beaucoup contribué à des solutions « fuite en avant » dénoncées dans la première partie de cet article. Le contour de ces médiations doit être clairement défini dans le nouveau cadre de pilotage des rémunérations des agents de l’Etat (souhaitable afin d’éviter l’implication de certaines catégories de médiateurs) ;
10)Rapportage du Commissaire aux comptes des Etablissements publics dotés de la personnalité morale sur les rémunérations des dirigeants comme c’est le cas pour les entreprises privées, un rapport dont les destinataires seront les Conseils d’administration, les ministres de tutelle, le ministre chargé des finances, le Conseil Supérieur des rémunérations des agents de l’Etat ;
2 Comment faire pour une sortie de l’impasse ?
Pour réussir le processus de sortie durable et efficace du conflit salarial, l’Etat privilégiera une démarche participative où les syndicats de travailleurs et le Patronat joueront pleinement leur rôle comme suit :
1) l’élaboration avec les syndicats d’une vision partagée de la réforme et du processus pour la réaliser ;
2) la participation des syndicats à la conduite de l’étude sur les rémunérations et à la définition des éléments de la politique salariale de l’Etat ;
3) l’organisation d’une Conférence sociale regroupant l’Etat, les Syndicats, le Patronat et la société civile qui procédera à :
(1) la validation de l’étude sur les rémunérations ;
(2) l’adoption de la politique salariale de l’Etat ;
(3) l’adoption de la réforme des rémunérations ;
(4) l’adoption d’un pacte social Etat – Syndicats des travailleurs – Patronat


Konimba SIDIBE
Ancien Ministre, ancien député et Président du MODEC

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